Il y a cinq ans, après trois jours de discussions au chic hôtel de Gleneagles, en Écosse, les leaders des huit pays les plus riches de la planète s'étaient laissés sur une double promesse à l'égard de l'Afrique.

D'abord, ils allaient dégager 25 milliards de dollars pour les pays africains. Ensuite, grâce à cette injection de fonds, la médication permettant de neutraliser les effets du sida deviendrait universellement accessible -ou presque.

Cet engagement était arrimé à un échéancier: 2010. Autrement dit, maintenant. Ces généreuses promesses ont-elles été honorées? En partie, oui. Beaucoup d'argent a été dépensé, mais de 8 à 10 milliards de dollars manquent toujours à l'appel.

Environ 4 millions d'Africains atteints du sida ont aujourd'hui accès aux médicaments antirétroviraux. Mais 9 millions de sidéens sont toujours abandonnés à leur sort, faute d'argent.

Pire: après l'intense rattrapage qui a suivi le sommet de Gleneagles, la situation tend aujourd'hui à se dégrader. «Au cours des 18 derniers mois, les bailleurs de fonds ont décidé de plafonner, de réduire, voire de supprimer leurs dépenses pour les traitements du VIH et l'achat d'antirétroviraux», dénonce Médecins sans frontières dans un rapport publié à la fin du mois de mai.

Stephen Lewis, ancien ambassadeur du Canada à l'ONU, s'inquiète lui aussi. Directeur de l'organisme AIDS-Free World, le «monsieur sida» canadien a l'impression d'assister à un vertigineux retour vers les années 90, une époque où, en Afrique, un diagnostic de sida équivalait à une condamnation à mort.

«Le G8 réduit de façon explicite le traitement du VIH et du sida», dénonce-t-il.

Stephen Lewis venait de terminer une entrevue à la CBC, hier, quand nous nous sommes rencontrés dans l'immeuble de la télévision d'État, à Toronto. La tour fait face au Centre des congrès qui accueillera, à compter de demain, le sommet du G20.

Autour du Centre des congrès, les rues bordées de clôtures métalliques étaient quasi désertes, mis à part quelques journalistes et de nombreux policiers.

À l'intérieur de la tour de la CBC, Stephen Lewis ne cachait pas sa colère. Même Barack Obama, qui s'était pourtant engagé à augmenter les fonds du Plan d'urgence présidentiel pour la lutte contre le sida, ne tient pas sa promesse. «C'est de la négligence criminelle, ces chefs d'État ont du sang sur les mains», tonne-t-il.

Ce qui le surprend surtout, c'est que le projet emblématique du sommet du G8 qui s'ouvre aujourd'hui à Huntsville porte sur la santé maternelle et infantile. Or, en Afrique, la santé maternelle et infantile passe, en grande partie, par la lutte contre les ravages du sida.

Un exemple: plus de 400 000 enfants porteurs du VIH naissent chaque année en Afrique de mères séropositives. Pourtant, si les mères recevaient des soins adéquats, la transmission du virus pourrait être prévenue. Difficile de faire mieux pour la santé de ces enfants!

Un autre exemple: selon une étude récente, plus de 60 000 femmes séropositives, enceintes ou mamans, meurent chaque année faute de médicaments pour soigner leur VIH. La plupart de ces morts seraient évitées avec la médication appropriée.

La fameuse initiative de Stephen Harper visant à réduire la mortalité maternelle et infantile a fait beaucoup jaser en raison de la décision d'exclure les services d'avortement - qui permettraient pourtant d'éviter des milliers de morts.

Mais le retrait sur le front du sida est tout aussi contradictoire. Plus encore si l'argent que l'on finira par injecter dans la nouvelle «initiative de Toronto» devait être puisé dans les tiroirs de la lutte contre le VIH, comme le craint Stephen Lewis.

Ce repli dans la lutte contre le sida a déjà un impact concret dans des cliniques africaines, comme l'a raconté hier un reportage publié dans The Globe and Mail. Les listes d'attente pour recevoir des soins s'allongent là où elles étaient courtes, apparaissent là où elles n'existaient pas du tout. Parfois, il faut attendre qu'un patient meure pour pouvoir en soigner un nouveau.

Mais que voulez-vous, cette année, la santé maternelle est in, le sida est out. Quant au lien entre les deux, il semble s'être volatilisé. À moins que le message de gens comme Stephen Lewis et d'organisations comme Médecins sans frontières ne soit entendu in extremis, tout indique que les huit «grands» signeront à Huntsville un communiqué qui fera comme si le sida ne faisait pas payer un lourd tribut aux mères et à leurs enfants. Et comme si les promesses de 2005 n'avaient plus cours.

On se prend à rêver: et si les sommets successifs servaient à terminer les projets passés au lieu d'en lancer de nouveaux? Ça ferait peut-être de moins jolies annonces. Mais ça aurait le mérite de la cohérence. Un peu de suite dans les idées, s'il vous plaît.