Deux photos publiées sur Facebook viennent de mettre l'opinion publique israélienne en émoi. On y voit une jeune soldate tendre son visage souriant vers la caméra avec, en arrière-plan, des prisonniers palestiniens aux mains liées et aux yeux bandés.

On est loin d'Abou Ghraib. Et Eden Aberjil n'est pas Lynndie England, cette militaire américaine qui s'était fait photographier alors qu'elle tenait en laisse un prisonnier nu.

La jeune soldate israélienne ne cherche pas à humilier les détenus. Elle les utilise plutôt comme décor en immortalisant son séjour dans l'armée, une période qu'elle qualifie, dans son album, de plus beau moment de sa vie.

«Tu es la plus sexy comme ça», écrit un ami Facebook sous l'une des deux photos, où Eden Aberjil pose avec coquetterie à côté d'un prisonnier.

«Oui, je sais, quelle journée ça a été, regarde comme il (le prisonnier) complète bien mon image, je me demande s'il est aussi sur Facebook, je pourrais le taguer», répond la jeune femme.

Ces commentaires insouciants ont frappé l'opinion, presque autant que les images elles-mêmes. Et aussi, la réaction de la jeune femme face aux critiques. «Je n'ai rien fait de mal», a dit Eden Aberjil après que l'armée eut poussé les hauts cris, jurant que si elle n'avait pas été démobilisée, elle serait passée devant la cour martiale.

Furieuse contre l'armée, l'ex-soldate en a remis. «Ces images reflètent l'expérience militaire», a-t-elle dit pendant une entrevue à la radio.

Hélas, plusieurs incidents survenus au cours des dernières années démontrent que la jeune femme a probablement raison. À preuve, ces huit autres photos, mises en ligne par l'organisation israélienne Brisons le silence - qui regroupe d'anciens soldats critiques de Tsahal -, où l'on voit d'autres militaires posant aux côtés de prisonniers, y compris des blessés.

Et puis, il y a cette vidéo publiée en juillet sur YouTube et montrant six soldats israéliens qui dansent sur la chanson Tick Tock, de Ke$ha, dans les rues désertes de Hébron - ville de Cisjordanie où Tsahal assure la protection d'un demi-millier de colons.

Un an plus tôt, un régiment de l'armée israélienne avait fait scandale avec des t-shirts d'un humour douteux. L'un d'entre eux affichait l'image d'une femme voilée pleurant à côté d'un bébé mort. Et cette inscription empruntée à une pub de condom: «Mieux vaut utiliser Durex.»

Et c'est sans oublier l'offensive contre Gaza, durant laquelle quelques soldats israéliens s'étaient amusés à tracer des graffitis haineux sur des ruines de maisons palestiniennes.

Chaque fois, l'armée condamne ces écarts en les qualifiant d'exceptionnels. Chaque fois, des critiques de l'armée soulignent qu'ils ne sont pas si exceptionnels que ça. Et que le sens moral de l'armée est en chute libre, victime de 43 ans d'occupation.

«L'expérience dont parle Aberjil reflète une culture qui a pris racine au cours des décennies d'occupation», déplore en éditorial le quotidien Haaretz.

Le service militaire est obligatoire en Israël. Trois ans pour les garçons. Un peu moins de deux ans pour les filles. C'est une sorte de passage obligé, où se lient des amours et de grandes amitiés, et où les jeunes ont trop souvent l'occasion de mettre en pratique leurs connaissances théoriques sur l'art de la guerre.

Ces jeunes adultes ne sont pas des monstres. À 18 ou 19 ans, ils sont témoins de réalités insupportables. Ils détiennent un pouvoir immense sur les Palestiniens dont ils contrôlent les allées et venues aux divers postes de contrôle. Et ils ont souvent peur.

Alors, ils laissent sortir le «méchant» avec des danses stupides, des t-shirts odieux et des photos dont ils ne perçoivent même pas le caractère insultant. Perdant de vue que ces gens qu'ils traitent comme des «animaux domestiques», selon les mots de Haaretz, sont d'abord et avant tout des êtres humains. Et que pour eux, la réalité de l'occupation n'est pas drôle du tout.

En s'étonnant avec candeur du choc causé par ses photos, Eden Aberjil aura étalé au grand jour cet esprit de corps fondé sur le cynisme ordinaire, la banalisation de la violence et la déshumanisation de l'ennemi.