Les Hutus qui avaient fui le Rwanda après le génocide de 1995 ont-ils été, à leur tour, victimes d'une tentative d'extermination délibérée et systématique sur le territoire congolais où ils ont trouvé refuge?

Un rapport du haut-commissariat de l'ONU pour les droits de l'homme, qui pourrait être rendu public lundi, mais dont de larges extraits ont circulé cette semaine, ne tranche pas cette question de façon définitive. Mais en la soulevant, il lance une véritable bombe.

Le document recense 617 incidents violents survenus en République démocratique du Congo (RDC) entre 1993 et 2003. La majorité de ces incidents, qui ont coûté la vie à des dizaines de milliers de Hutus, constitue des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité, concluent les enquêteurs.

La flambée de violence qui a frappé les Hutus en 1996 et 1997 pourrait aussi s'apparenter à un génocide, poursuivent-ils. Selon eux, seul un tribunal compétent pourrait en juger.

Le rapport, dont j'ai consulté une version complète - mais peut-être pas finale - dresse un inventaire sordide du conflit le plus sanglant et le plus oublié des dernières décennies. Ce sont des dizaines de paragraphes d'horreur, d'une douloureuse concision.

Un exemple. Le 22 novembre 1996 des hommes se pointent dans un camp de réfugiés de la province congolaise du Sud-Kivu. Certains appartiennent à l'Armée patriotique rwandaise de Paul Kagamé, futur président du Rwanda. D'autres sont sous les ordres de Laurent-Désiré Kabila, futur président congolais.

À leur arrivée, les militaires demandent aux réfugiés de se rassembler pour une réunion. Ils leur promettent d'abattre une vache et de les nourrir, avant de les laisser rentrer au Rwanda. Soudain, un coup de sifflet retentit et les militaires font feu sur les réfugiés. Bilan: entre 500 et 800 morts.

Ce n'est pas la première fois qu'un organisme international se penche sur les violences qui ont frappé la RDC pendant cette sanglante décennie. Mais ce nouveau document en dresse l'inventaire le plus exhaustif et le plus documenté.

«C'est un rapport historique», dit Jason Stearns, un spécialiste de la RDC qui s'apprête à publier un livre sur cette période tourmentée. Contrairement à ce qui s'est passé dans d'autres conflits, il n'y a jamais eu d'effort pour traduire devant la justice les responsables de ces massacres, souligne-t-il. Le principal mérite du rapport, c'est qu'il ouvre la voie vers la justice et la réparation.

C'est le mot «génocide» qui a le plus retenu l'attention des médias au cours des derniers jours. Le rapport ne dit pas qu'un génocide a été commis, mais signale qu'il y a suffisamment d'indices pour qu'un tribunal se penche sur le sujet.

Cette seule mention est explosive, parce qu'elle rejaillit forcément sur l'actuel gouvernement rwandais. «Je sais qu'il y a eu beaucoup de discussions au sein de l'ONU pour retirer le mot 'génocide' de la version finale du rapport», dit Jason Stearns. Le Monde cite des sources selon lesquelles le président Kagamé aurait menacé de retirer les troupes rwandaises des missions de maintien de la paix si le texte du rapport n'était pas expurgé. Avec ce rapport, l'ONU est un peu sur la corde raide. D'un côté, le risque de grosses répercussions politiques. De l'autre, celui d'une récupération par ceux qui veulent minimiser l'ampleur du génocide subi par les Tutsis en 1995. Et qui ne seraient que trop heureux de s'emparer du document pour établir une symétrie entre les massacres des Tutsis au Rwanda, et ceux dont ont été victimes les Hutus en RDC.

Reste qu'un pas crucial vient d'être franchi. «Enfin, on va réécrire l'histoire de la région», se réjouit Jason Stearns. Et dans cette nouvelle version de l'Histoire, les Hutus massacrés en RDC pendant 10 ans de guerres auront droit de voir leurs souffrances reconnues. Et celui d'espérer que les responsables des exactions échappent enfin à l'impunité.