Un seul pays sur la planète considère la prostitution sous toutes ses formes comme une activité entièrement légale, dans la mesure où elle ne met en cause que des adultes consentants.

Pays-Bas? Allemagne? Pas du tout. Il s'agit plutôt de la Nouvelle-Zélande. Il y a sept ans, elle a aboli tous les interdits à l'égard des échanges sexuels rémunérés. But de la réforme: améliorer la santé et les conditions de vie des prostitués.

Pour y arriver, on a procédé de la façon la plus logique qui soit: en demandant aux travailleurs du sexe ce qu'ils en pensaient. À elle seule, cette démarche est unique au monde. Au lieu de se faire imposer une réforme, les hommes et les femmes qui vivent des fruits de la prostitution ont pu l'influencer selon leurs préoccupations et leurs besoins.

Dans la dernière décennie, plusieurs autres pays ont voulu assouplir les lois qui régissent ce que l'on appelle pompeusement le plus vieux métier du monde. Mais selon Colette Parent, criminologue à l'Université d'Ottawa, ces réformes ont toutes été décrétées d'en haut, sans consulter les principales intéressées.

Elles ont abouti à différents modèles mi-figue, mi-raisin, qui autorisent la prostitution dans certaines circonstances, à certains endroits - généralement dans des maisons certifiées.

Toutes ces réformes continuent à marginaliser les prostitués en les traitant comme une catégorie de travailleurs à part, soumis à un régime particulier, souligne Colette Parent. Dans le modèle néo-zélandais, l'industrie du sexe est une industrie comme une autre, protégée par les mêmes lois que n'importe quel autre métier.

Ce que ça change dans la vraie vie? Prenez cette prostituée québécoise qui a été, il y a quelques années, poignardée par un client. Elle a voulu obtenir une indemnisation à titre de victime d'un acte criminel. Pas question, lui a-t-on répondu: son agression, elle l'avait subie en commettant elle-même «une faute lourde».

Si la même situation se produisait aujourd'hui en Nouvelle-Zélande, cette femme serait reconnue comme une victime, explique Maria Nengeh Mensah, professeure en travail social à l'UQAM.

Ce que la réforme a changé en Nouvelle-Zélande? Il n'y a pas eu de révolution. Mais pas de catastrophe non plus. Un premier bilan dressé en 2008 montre que, contrairement aux prédictions des opposants à la réforme, il n'y a pas eu de ruée vers l'industrie du sexe. Le nombre de personnes qui vivent des fruits de la prostitution n'a pas augmenté - peut-être sont-elles un peu plus visibles parce que la répression a cessé.

Ce qui a changé, c'est la perception des travailleurs du sexe, qui ont pris conscience du fait qu'ils ont droit à une protection, qu'il s'agisse de leur santé ou de leurs conditions de travail.

De là à appeler la police chaque fois qu'un client les agresse, il y a une marge. Certains le font, d'autres craignent encore les forces de l'ordre. En revanche, depuis l'adoption de la réforme, les agressions contre des prostituées ont été plutôt rares, sauf chez les prostituées de rue.

En gros, la méthode néo-zélandaise n'a pas fait de miracle, mais elle n'a rien aggravé. Et à plusieurs égards, elle a permis des améliorations qui s'accentueront peut-être avec le temps.

À l'autre bout du spectre, il y a le modèle suédois. Très musclé. But poursuivi: mettre fin à l'inégalité des sexes qui fait porter le fardeau de la prostitution aux femmes qui la pratiquent. Moyen: au lieu de viser celles qui vendent des services sexuels, s'attaquer aux clients, qui risquent jusqu'à huit ans de prison! Parallèlement, on essaie d'éliminer le problème à la source par des programmes publics contre la pauvreté.

Il n'y a pas eu de miracle là non plus. On constate que, depuis l'adoption de cette réforme, le nombre de prostituées a décliné. Mais peut-être est-ce parce qu'elles ont été refoulées encore davantage dans la clandestinité par des clients qui craignent la police.

Ces deux modèles, le néo-zélandais et le suédois, ne sont parfaits. Mais tous deux ont le mérite de prendre une position claire et de s'appuyer sur des principes tout aussi clairs. Les droits des prostituées dans le cas de la Nouvelle-Zélande; l'égalité des sexes dans le cas de la Suède.

On est loin de l'hypocrisie qui marque le régime canadien, où l'on n'interdit pas la prostitution, mais tous les moyens qui permettent de l'exercer.

Voilà de quoi éclairer le débat soulevé par la décision ultra-controversée rendue lundi par la Cour supérieure de l'Ontario. Cette décision nous renvoie ultimement à une question de fond: quand les lois sont impuissantes à éradiquer une pratique que la société juge nocive ou moralement inacceptable, ne vaut-il pas mieux prendre acte de la situation? Au lieu de la réprimer, encadrer cette pratique de manière à ce qu'elle s'exerce dans les meilleures conditions possible?

C'est un peu le plus vieux dilemme du monde.