Avec sa silhouette frêle, ses cheveux noués par un bandeau de fleurs jaunes et son visage rayonnant qui la fait paraître beaucoup plus jeune que ses 65 ans, l'opposante birmane Aung San Suu Kyi s'est adressée hier à son peuple, pour la première fois depuis sa dernière arrestation, il y a sept ans.

Celle que les Birmans surnomment simplement «La Dame» a eu de la difficulté à faire taire la foule venue l'entendre devant les locaux de son parti, à Rangoun. Les gens criaient son nom. Certains pleuraient. «Nous croyons en elle», a dit une femme filmée par la BBC.

Il y avait de quoi être ému. La voix de l'opposition birmane, qui aura passé 15 des 21 dernières années en détention et qui, dans l'histoire des grandes révoltes de l'histoire moderne, se compare à Mandela ou à Gandhi, recouvrait la liberté de parole et de mouvement.

Mais Aung San Suu Kyi n'aura pas beaucoup de temps pour savourer ses retrouvailles avec son peuple. Sa libération survient dans un pays en mutation et la confronte à des choix difficiles.

Des experts publiés dans les journaux du week-end s'entendent sur une chose: la Birmanie n'est plus ce qu'elle était il y a sept ans. Et la voie que le Prix Nobel de la paix incarnait depuis des décennies -celle d'un défi pacifique mais inflexible à la junte militaire qui dirige le pays depuis le coup d'État de 1962- ne fait plus l'unanimité.

Le 7 novembre dernier, des élections ont eu lieu en Birmanie. La dernière fois que les Birmans avaient été appelés à voter, c'était en 1990. À l'époque, la Ligue nationale pour la démocratie, parti d'Aung San Suu Kyi, avait obtenu 85% des votes. Le régime des généraux a ignoré ce résultat. Depuis, la «Dame birmane» réclame qu'ils soient reconnus.

De sa résidence surveillée, elle a donc appelé son parti à boycotter le scrutin du 7 novembre. Et cette fois, son appel a causé des grincements de dents dans ses propres rangs. Une faction de sa formation politique s'est dissociée de sa Ligue pour fonder un nouveau parti, qui a pu participer légalement au scrutin.

De façon prévisible, le vote a été entaché de toutes sortes de manoeuvres frauduleuses. Et le parti des généraux a remporté... 80% des suffrages. Mais quelques voix de l'opposition ont pu, pour la première fois, faire leur entrée au Parlement.

On est loin des élections «semi-démocratiques» qui avaient assuré la transition vers la démocratie dans la Pologne de 1989. Mais dans ce pays exsangue, où une révolte de moines a été durement réprimée, il y a trois ans, la stratégie d'Aung San Suu Kyi est désormais remise en question. Elle n'est plus l'unique visage de la dissidence ni l'unique voix incarnant les aspirations démocratiques de son peuple.

Le Prix Nobel de la paix a recouvré la liberté, mais elle se déplace sur un fil de fer. D'un côté, il y a ceux qui lui reprochent de s'en être tenue à une dissidence pacifique. De l'autre, on lui reproche d'avoir refusé tout compromis avec la junte. «Nous avons été trop émotifs, trop guidés par nos principes», a confié l'ancien porte-parole de la Ligue nationale pour la démocratie Nyo Ohn Myint au Globe and Mail. Aux yeux de certains, la persévérance d'Aung San Suu Kyi ressemble de plus en plus à de l'entêtement.

Le discours qu'elle a adressé à ses partisans et son entrevue accordée à la BBC montrent que la principale intéressée est consciente de sa position délicate. Tout en lançant un appel à la démocratie, elle s'est montrée ouverte à rencontrer les représentants de la junte. Et peut-être même à réclamer la levée des sanctions internationales, qui étranglent l'économie de son pays. «Je ferai ce que vous voulez», a-t-elle promis à son peuple.

De son côté, la junte a eu des propos positifs à son égard. «Aung San Suu Kyi a reçu son pardon en raison de sa bonne conduite», annonce le journal du régime, La nouvelle lumière du Myanmar. La junte espère sans doute avoir à la fois écarté la célèbre opposante du pouvoir et réussi à cautionner le vote de la semaine dernière en lui redonnant la liberté. Mais le régime pourrait aussi avoir mis la main dans un engrenage qui le mène irrévocablement à sa propre perte.

Les généraux ont-ils piégé leur célèbre opposante ou se sont-ils piégés eux-mêmes? Dans sa langue natale, le nom d'Aung San Suu Kyi signifie «brillante collection d'étranges victoires». Dans la conjoncture actuelle, il n'est pas interdit de rêver que sa libération ajoutera une nouvelle victoire qui finira par faire tomber la dictature.