Jeudi midi, à Pétion-ville, le quartier huppé de Port-au-Prince, des partisans du chanteur Michel Martelly se pressent autour du candidat à la présidence dans un brouhaha étourdissant. Certains ont transformé son affiche rose en chapeau, d'autres en cravate.

«Martelly? Wow! Il a beaucoup de rêves pour les jeunes, il peut corriger le désordre créé par les élites», s'exclame un jeune homme.

Appelés à se joindre à une «marche de libération», les partisans de «Sweet Micky» descendent vers le Champ-de-Mars où se tiendra le grand rassemblement pro-Martelly.

En Haïti, toute manifestation se fait au pas de course. Des groupes passent en courant, par vagues, sous le soleil brûlant. Les commerçants qui bordent la route lèvent le pouce sur leur passage. «Il va changer les choses, il y aura de quoi manger, des routes, des hôpitaux, des écoles, des universités!», se réjouit Sabrina Saint-Louis, esthéticienne au salon de beauté Studio Modena.

À l'autre bout de la ville, au Carrefour Aéroport, les partisans de Jude Célestin, qui a l'appui du président sortant René Préval, sont rassemblés eux aussi, en attendant leur candidat. Un avion fait pleuvoir des calendriers aux couleurs du candidat du régime. Sur la scène aménagée au milieu de la place, les haut-parleurs crachent une chanson vaudou. La foule est clairsemée et des filles en t-shirt jaune et vert dansent de façon suggestive. Nadine, Barbara et Muscardy ont entre 16 et 19 ans. Depuis le tremblement de terre, elles vivent dans un camp de déplacés.

«Si nous sommes là, c'est parce qu'on nous a donné ces t-shirts», dit Barbara en toute candeur. «On est ici pour s'amuser, pas pour Célestin. Moi, je préfère Michel Martelly...»

Quand Jude Célestin finit par rejoindre ses troupes, avec trois heures de retard, il promet des routes, des emplois. Un discours de moins de 10 minutes, puis il s'en va. Michel Martelly, lui, tient son auditoire en haleine avec des blagues, des imitations et une charge à fond de train contre l'establishment politique haïtien.

Le contraste entre ces deux événements en dit long sur cette campagne électorale qui s'achève aujourd'hui, alors que plus de quatre millions d'Haïtiens s'apprêtent à élire leur prochain président.

De tous les candidats, Michel Martelly est celui qui soulève l'engouement le plus enthousiaste. Et les fans de Jude Célestin ne courent vraiment pas les rues.

Encore hier, alors que Jude Célestin clôturait sa campagne électorale dans le quartier Carrefour, une passante qui tenait une de ses affiches nous a dit: «Je ne vais pas vous mentir, moi c'est Martelly.»

Dans les camps de déplacés, dans les quartiers populaires ou à l'université, le nom de Jude Célestin suscite des sourires ironiques. Et c'est sans grand enthousiasme que ses supporters affirment qu'une fois président, leur candidat apportera «du changement» et des emplois.

Inconnu il y a six mois, le poulain du président Préval se classe pourtant deuxième, derrière la favorite Mirlande Manigat, à qui le plus récent sondage accorde 36% des intentions de vote, contre 20% à Jude Célestin et 14% à Michel Martelly.

Jude Célestin a donc de bonnes chances de survivre au premier tour du scrutin de demain. Et même de remporter le second tour, le 16 janvier, au hasard des ralliements des candidats défaits. Et des tours de passe-passe électoraux qui, comme on s'y attend, risquent d'influer sur le résultat du vote.

L'ingénieur Don Juan

À 48 ans, Jude Célestin a une image sulfureuse. On lui attribue un passé de playboy, qui aurait eu 13 enfants de huit femmes différentes, et qui serait le concubin de la propre fille de René Préval.

«Nous n'avons jamais pu confirmer ces rumeurs», dit le rédacteur en chef du journal Le Nouvelliste, Frantz Duval.

Sur le plan professionnel, Jude Célestin s'est fait connaître en dirigeant le Centre national des équipements, une agence responsable de la construction de routes à laquelle on reproche quelques accrocs aux règles d'attribution de contrats.

Jude Célestin se présente comme un ingénieur qui a obtenu son diplôme de l'École polytechnique fédérale de Lausanne. Mais le journal suisse 24 heures n'a trouvé aucune trace de son passage dans les registres de cette institution.

Le candidat du parti INITE (Unité, en créole) fuit littéralement les médias. Il a refusé systématiquement toutes les demandes d'entrevues. En revanche, son portrait est omniprésent. D'immenses panneaux publicitaires à son effigie surplombent la capitale. Et son avion tourne de façon insistante au-dessus de la capitale.

«Les gens ne connaissent toujours pas vraiment ses idées, mais ils connaissent sa photo», résume Frantz Duval.