C'est la «non-surprise» de la semaine: prévu pour le 16 janvier, le deuxième tour du scrutin présidentiel en Haïti a été reporté à une date indéterminée.

Le Conseil électoral provisoire a annoncé sa décision lundi, pendant que les observateurs internationaux planchaient toujours sur leur analyse des résultats du 28 novembre. Et qu'il ne restait même plus deux semaines avant la nouvelle échéance électorale.

Même dans un pays à peu près fonctionnel, l'organisation d'une élection dans des délais aussi courts relèverait de l'exploit. En Haïti, c'est l'impossibilité absolue. Le problème, c'est que l'imbroglio électoral a peu de chances de se résorber dans les semaines qui viennent. Même avec de nouveaux délais, une crise politique majeure paraît difficilement évitable.

Le prochain acte de cette tragicomédie se jouera quand la mission d'observation de l'Organisation des États américains publiera son verdict sur le vote de novembre.

Dans leur rapport, les observateurs doivent répondre à des questions déterminantes pour la suite des choses. Quels candidats peuvent aspirer au deuxième tour? Et de façon plus fondamentale: les résultats du premier tour ont-ils la moindre validité?

Rappelons que le vote de l'automne a occasionné des manoeuvres frauduleuses d'une ampleur inégalée dans l'histoire de ce pays. Plus de 100 000 bulletins de vote ont dû être écartés. Des milliers de gens n'ont pas pu aller voter parce que leur nom ne figurait pas sur la liste électorale.

D'autres ne sont pas allés voter, point. Officiellement, le taux de participation a été d'environ 22 %. Mais dans certains coins du pays, on parle de seulement 6%!

On aura beau compter et recompter les bulletins de vote, rejeter quelques résultats frauduleux ici et là, au point où en sont les choses, il est impossible de transformer ce fatras électoral en des résultats représentatifs d'une réelle volonté populaire.

Faut-il pour autant jeter tout ça aux rebuts et recommencer à zéro, selon un des scénarios qui circulent ces jours-ci à Port-au-Prince? J'ai soumis l'hypothèse à quelques personnes qui suivent de près le processus électoral haïtien. Toutes croient que l'hypothèse d'une «reprise» du premier tour, bien qu'effectivement évoquée, est peu plausible. Le premier tour a déjà coûté une trentaine de millions: en dépenser tout autant, une fois de plus, dans un pays qui a besoin de tout, serait carrément indécent. D'autant plus qu'on risquerait d'aboutir à des résultats tout aussi peu concluants...

Mais en revanche, publier des résultats définitifs, quels qu'ils soient, risque d'exacerber les tensions, chaque camp pouvant prétendre avoir été victime de fraude. Même si on sait que celle-ci a joué surtout en faveur du dauphin du président René Préval, Jude Célestin, que des résultats préliminaires ont propulsé au deuxième tour. Et qui n'accepterait pas facilement d'en être évincé.

«Le pays est dans l'impasse, la crise est très profonde», dit Pierre Espérance, du Réseau haïtien de défense des droits humains.

Comme d'autres observateurs à qui j'ai parlé hier, il pense que la sortie de crise passe par des négociations et des décisions politiques. Et non par un pathétique effort visant à plaquer un vernis de légitimité sur des élections ratées.

Reste à voir si les pressions politiques peuvent réussir là où les élections ont échoué: à convaincre le président René Préval à lâcher prise.

En principe, il doit quitter le pouvoir en février. Mais en vertu d'une loi douteuse votée au lendemain du tremblement de terre du 12 janvier, il pourrait rester en poste jusqu'à la mi-mai. D'ici là, tous les scénarios sont envisageables. Y compris les pires.

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Cette crise inextricable débouche sur une question plus vaste: jusqu'où la communauté internationale doit-elle forcer des élections dans des pays où elles risquent fort d'être détournées de leurs fins, de donner une légitimité à des dirigeants impopulaires, et parfois, de déboucher sur un bain de sang?

Il n'y a qu'à penser aux élections de septembre, en Afghanistan, où 25% des bulletins de vote frauduleux ont dû être rejetés. Sans parler de dirigeants qui ont réussi à s'accrocher au pouvoir, malgré un vote défavorable, que ce soit au Zimbabwe ou au Kenya -et qui sait ce qui va encore arriver en Côte d'Ivoire?

L'ennui, c'est qu'au bout du compte, c'est la démocratie qui en sort chaque fois un peu plus discréditée.