Un jeune homme qui achète pour la première fois de sa vie un journal dans un kiosque où l'on peut trouver Le Monde ou le Courrier international, des publications interdites il y a encore quelques jours. Cette scène rapportée par ma collègue Laura-Julie Perreault en dit long sur le vent de liberté qui souffle sur la Tunisie. Dans ce pays où la parole a été muselée pendant près d'un quart de siècle, l'information circule enfin et les critiques sont permises.

Parallèlement, un autre pays, qui célébrait il y a un peu plus de 20 ans son propre retour à la liberté d'expression, vient de faire brutalement marche arrière. Ce pays, c'est la Hongrie. En décembre 2010, son gouvernement, dirigé par l'ultraconservateur Victor Orban, a adopté une loi qui n'impose ni plus ni moins que la censure de l'État sur les médias. Ceux-ci tombent désormais sous l'autorité d'un Conseil dont les membres sont nommés par... le gouvernement. Et qui peut imposer des sanctions à des journalistes pour leur manque d'«équilibre» ou d'«objectivité politique.»

Le cas échéant, la facture peut être salée: jusqu'à un million de dollars. En vertu de la nouvelle loi, le Conseil a aussi le pouvoir de perquisitionner chez les médias et de fouiller dans les calepins de notes et les ordinateurs des journalistes. Bonjour la protection des sources.

Moins d'un mois après son adoption, la loi a déjà fait sa première victime: Attila Mong, populaire animateur de radio qui a osé observer une minute de silence sur les ondes pour protester contre la nouvelle loi. Poursuivi pour manque de professionnalisme, il a été banni des ondes en attendant l'issue du procès.

Comme l'explique un autre journaliste hongrois dans un article diffusé par Rue89, la Hongrie a beau reculer dans le temps, elle n'en reste pas moins moderne. Car sa loi vise non seulement les médias traditionnels, mais également le web. Tous les blogues «édités» et générant des revenus relèvent de l'autorité du Conseil des médias. Mais qu'est-ce qu'un blogue édité? À partir de quel degré de commercialisation les blogueurs doivent-ils respecter la loi? Et comment, au fait, définit-on l'objectivité et l'équilibre journalistiques? Il y a suffisamment de flou artistique autour de ces questions pour faire peur à tout le monde.

«C'est le principe même des dictatures que de maintenir les gens dans un état d'incertitude et d'insécurité, en espérant qu'ils deviendront leurs propres censeurs», affirme le journaliste hongrois. Qui s'exprime anonymement, il va de soi.

Ce qui est ironique dans cette affaire, c'est qu'en s'attaquant à la liberté d'expression, la loi hongroise viole la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, dont la présidence est assumée, depuis le 1er janvier, par... le premier ministre Victor Orban.

Homme complexe, à la fois chaleureux, dynamique, mais aussi conservateur et autoritaire, Victor Orban a réussi à prendre le contrôle de plusieurs institutions démocratiques hongroises depuis son élection, en mai 2010. Il a été accueilli avec une brique et un fanal au parlement européen, mercredi dernier, alors que les députés verts ont arboré un bâillon symbolique -allusion au contrôle qu'il vient d'imposer sur l'information.

Mais on en reste au symbole. Et même si la loi sur les médias a été dénoncée par Amnistie internationale et Reporters sans frontières, même si certains députés européens veulent imposer des sanctions à la Hongrie, il y a peu de chances pour que l'Europe passe aux actes.

Sous la pression, Victor Orban a promis d'assouplir sa loi. Ça reste à voir. En attendant, cette histoire met en lumière le paradoxe d'un pays qui, il n'y a pas si longtemps, aspirait à se joindre à l'Europe pour y trouver une liberté qu'il tente aujourd'hui de museler. Se dirigeant tout droit vers une nouvelle forme de régime politique, d'ores et déjà baptisé de «démocrature.»

Pendant que les médias avaient les yeux tournés vers la Tunisie, où un peuple plein d'espoir élargissait chaque jour sa marge de liberté, le recul hongrois est passé un peu sous le radar. Il rappelle pourtant à quel point les libertés sont fragiles et ne doivent jamais être tenues pour acquises.