«Je suis à la recherche d'un emploi ; j'aimerais être un agent de changement en Égypte», avait blagué Mohamed ElBaradei lors d'une conférence à l'Université Harvard, au printemps dernier. Il n'imaginait sûrement pas que, à peine neuf mois plus tard, l'emploi de ses rêves serait à sa portée.

Depuis qu'il est rentré en Égypte, la semaine dernière, l'ancien directeur général de l'Agence internationale de l'énergie atomique n'a pas perdu de temps. Il a sommé le président Hosni Moubarak de quitter son poste dans les plus brefs délais. Il a proposé ses services comme président de transition. Et il a réussi à rallier tous les mouvements d'opposition, y compris les Frères musulmans, à sa candidature.

L'homme ne tombe pas tout à fait du ciel dans une Égypte en pleine ébullition. Déjà, l'an dernier, il avait annoncé son désir de briguer la présidence à l'élection de septembre 2011. Seulement, la Constitution égyptienne ferme les portes du pouvoir à tout candidat qui n'a pas la bénédiction du clan Moubarak. Pour déverrouiller le système, Mohamed ElBaradei a lancé une pétition appelant à une réforme constitutionnelle. Et il a mis sur pied l'Association nationale pour le changement, qui réclame la levée de l'état d'urgence imposé par le régime et la restauration des libertés démocratiques.

Créé il y a un an, ce mouvement a fait des petits dans la diaspora. Un des instigateurs de la section montréalaise, Ossama Allam, explique ce que la présence de Mohamed ElBaradei représente pour les Égyptiens assoiffés de changement : «Il a une image respectable en Égypte comme à l'étranger et il est capable de négocier avec toutes les forces politiques égyptiennes.»

Âgé de 68 ans, Mohamed ElBaradei a étudié le droit avant de se lancer dans une carrière diplomatique qui l'a mené à la tête de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), vouée à la sécurité nucléaire. Son deuxième mandat, au début des années 2000, a été particulièrement turbulent. Quand l'administration Bush a lancé sa croisade contre l'Irak, il a nié les allégations voulant que le régime de Saddam Hussein ait acheté de l'uranium au Niger. Et il s'est opposé à l'intervention militaire, prédisant que celle-ci exacerberait les problèmes du pays au lieu de les régler.

L'histoire lui a donné raison mais, entre-temps, il était devenu la bête noire de Washington, qui a tout fait pour l'empêcher d'obtenir un troisième mandat à la tête de l'Agence. Or, non seulement il l'a obtenu, mais il a de plus reçu le prix Nobel de la paix en 2005.

Pendant ses années à l'AIEA, Mohamed ElBaradei a souvent marché sur un fil très mince, signale le politologue Michel Fortmann, de l'Université de Montréal. «Il devait naviguer entre les pays occidentaux, qui prônent une attitude très interventionniste vis-à-vis de l'armement nucléaire, et les autres, qui veulent plus de latitude et réclament une attitude plus musclée à l'égard d'Israël.» Cette position de médiateur convient à merveille à ce grand diplomate.

Ceux qui le suivent jugent que Mohamed ElBaradei jouit d'une grande crédibilité et d'autorité morale. Il ne semble pas s'être lancé en politique pour défendre ses intérêts personnels, dit Rachad Antonius, politologue québécois originaire d'Égypte. Bref, il est le «monsieur Propre» dans un océan de corruption.

«C'est un personnage remarquable, la meilleure personne pour une transition en Égypte», tranche Henri Habib, spécialiste du Proche-Orient à l'Université Concordia. Mais une transition vers quoi ? Car l'homme a un point faible: il n'a aucune organisation politique dans son pays. Il pourra éviter à l'Égypte de déraper en attendant les prochaines élections. Mais après? Sera-t-il assez fort pour freiner les Frères musulmans qui sont, eux, très bien organisés aux premières élections libres en Égypte ? se demande Henri Habib.

Mais ça, ce sont les soucis de demain. Et aujourd'hui, Mohamed ElBaradei est l'homme providentiel, celui qui incarne l'espoir d'une nouvelle Égypte.