La révolte populaire qui a éclaté dans l'est de la Libye, la semaine dernière, a atteint Tripoli dimanche. Ce même jour, le fils du colonel Kadhafi, Saïf al-Islam, a adressé à son peuple un discours à faire dresser les cheveux sur la tête. Si la rébellion ne s'arrête pas, a-t-il averti, «des rivières de sang» couleront dans le pays.

Il ne fallait pas être particulièrement malin pour en déduire que la crise libyenne risquait de dégénérer. Pourtant, le lendemain, Ottawa n'avait toujours pas la moindre intention de rapatrier les quelques centaines de Canadiens coincés en Libye. Et il a fallu attendre une journée de plus avant que le gouvernement canadien ne se décide à mettre en place son plan d'évacuation.

Une journée, ce n'est pas beaucoup. Mais en situation d'urgence, ça peut aussi faire toute la différence. Chaque jour, la capitale libyenne s'est enfoncée davantage dans l'horreur et le chaos. La ville est fermée aux médias et coupée du monde. Les témoignages de ceux qui ont réussi à la fuir confirment, hélas, que Saïf al-Islam n'avait pas lancé ses menaces en l'air.

Hier, plusieurs compagnies aériennes ont décidé de ne plus atterrir à Tripoli, pour des raisons de sécurité. L'avion nolisé qui devait ramener une centaine de Canadiens n'a pas pu se poser lui non plus, faute d'assurances. Pendant toute la journée, Ottawa a cherché des solutions de rechange. La majorité des Canadiens qui attendaient à l'aéroport de la capitale ont finalement pu être répartis dans des appareils affrétés par d'autres pays. On imagine les heures d'angoisse et d'incertitude qu'ils ont dû vivre dans un aéroport bondé de voyageurs au bord de la panique. Un avion militaire canadien pourrait aussi arriver à Tripoli aujourd'hui - si les autorités libyennes le laissent atterrir, il va de soi.

D'autres pays ont été plus rapides à rapatrier leur monde. La Turquie, par exemple, a dépêché deux navires pour ramener 3000 de ses citoyens dès mercredi. Idem pour la Grande-Bretagne, qui a pu organiser deux vols de Tripoli, l'un mercredi, l'autre hier. Ce qui n'a pas empêché le premier ministre David Cameron de se confondre en excuses pour la lenteur avec laquelle son gouvernement a rapatrié ses compatriotes. Il s'est dit désolé pour ce retard, a assuré qu'il en tirerait des leçons et a même promis une enquête pour faire la lumière sur ce retard.

C'est tout un contraste avec l'attitude d'Ottawa, qui a pourtant traîné les pieds autrement plus longtemps. Or, hier, le ministre Lawrence Cannon n'avait pas d'excuses à offrir aux Canadiens. Lors d'un arrêt à Rome, il s'est contenté de publier une déclaration pour faire le point sur la situation et exhorter ses compatriotes à quitter la Libye. Fort bien, mais comment?

La situation en Libye est extrême. Cerné de toute part, abandonné par ses collaborateurs, le «guide suprême» semble prêt à tout saccager avant de couler. La crise, ici, a atteint une gravité que l'on n'a pas vue en Tunisie ou en Égypte. N'empêche: les atermoiements canadiens n'en relèvent pas moins d'un gros cafouillage. Dont Ottawa a intérêt à tirer une bonne leçon avant qu'un prochain soulèvement populaire ne fasse vaciller une nouvelle dictature au Moyen-Orient.