Pendant que le monde a les yeux tournés vers la tragédie qui a dévasté le Japon, un autre tremblement de terre, de nature politique celui-là, vient de se produire en Égypte.

Réunie au Caire, samedi, la Ligue arabe a voté une résolution qui demande au Conseil de sécurité des Nations unies d'imposer une zone d'exclusion aérienne au-dessus de la Libye. La décision a été prise par vote unanime, après une réunion longue et houleuse.

Le geste est sans précédent. Fondée en 1945, la Ligue arabe regroupe 22 États qui ont toujours hésité à sévir contre l'un des leurs. Il y a deux ans, quand la Cour pénale internationale a lancé un mandat d'arrêt contre le président du Soudan, Omar Al-Bashir, qu'elle accusait de crimes de guerre, la Ligue l'a soutenu sans hésiter.

En fait, l'unique fois où la Ligue a sévi contre un de ses membres, c'est en 1979, quand l'Égypte s'était fait temporairement montrer la porte pour avoir conclu un traité de paix avec Israël.

Or, cette fois, la Ligue n'a pas mis de temps à réagir. Dès que Mouammar Kadhafi a entrepris de bombarder ses propres citoyens, l'organisation l'a exclu de ses rangs. Et samedi, ce sont les 21 autres États membres qui ont réclamé l'aide de l'ONU.

Cette demande est d'autant plus étonnante que plusieurs des membres de la Ligue font face à des soulèvements populaires à l'intérieur de leurs propres frontières. En réclamant une action militaire contre Kadhafi, ils créent un précédent qui pourrait éventuellement se tourner contre eux.

Il faut dire que Mouammar Kadhafi n'a pas la cote chez ses voisins. En 2009, lors d'une réunion de la Ligue, il avait vilipendé le roi d'Arabie Saoudite, à qui il reprochait d'être une marionnette de Washington. Quand ses collègues ont essayé de le calmer, il s'est lancé dans une tirade interminable, s'autoproclamant «roi des rois d'Afrique et imam de tous les musulmans». Bref, plusieurs de ces anciens partenaires de la Ligue le voient comme un enquiquineur dont ils aimeraient bien se débarrasser.

N'empêche: en appelant le Conseil de sécurité à défendre les insurgés libyens, la Ligue a franchi une ligne qu'elle n'avait jamais traversée jusqu'à maintenant. Du coup, elle a fait tomber l'un des principaux arguments contre l'imposition d'une zone d'exclusion aérienne à la Libye.

Si jamais le Conseil de sécurité devait aller de l'avant, on pourrait difficilement parler d'une nouvelle agression occidentale au Proche-Orient. Cette fois, l'intervention ferait suite à la demande de pays arabes. Certains de ces pays pourraient même donner un coup de main à l'opération. Les insurgés ayant, eux aussi, appelé à l'aide, on serait loin, très loin du contexte dans lequel les États-Unis avaient lancé leur offensive contre l'Irak.

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L'imposition d'une zone d'exclusion aérienne n'est pas une panacée. Et elle comporte sa part d'incertitudes. Mais il ne faut pas oublier que les difficultés évoquées par ceux qui s'y opposent visent aussi à justifier l'inaction. Et il y a des experts qui pensent que l'intervention est tout à fait envisageable. «Je ne peux pas imaginer un problème plus facile», a dit le général Merrill McPeak, ancien chef d'état-major, dans une entrevue avec Nicholas Kristof, du New York Times. Selon lui, le seul fait de savoir que leurs appareils risqueraient d'être abattus inciterait les pilotes pro-Kadhafi à changer de camp. C'est aussi ce que pense Houchang Hassan-Yari, du Collège militaire royal de Kingston. Selon lui, la seule décision de protéger le ciel libyen aurait déjà un impact. Celui de montrer que le monde en a assez de Kadhafi. Et n'a pas peur d'agir en conséquence.

Les tergiversations actuelles envoient précisément le message contraire. Les troupes pro-Kadhafi ne cessent de gagner du terrain. Hier, c'était au tour de la ville d'Ajdabiya de subir leur assaut. La prochaine cible, c'est Benghazi. L'épicentre de la révolte libyenne, la ville qui abrite le gouvernement de transition formé par les insurgés.

Une fois Benghazi tombé, c'en sera fini du soulèvement. Kadhafi pourra mettre tous ses opposants en prison. Il n'aura plus besoin de bombarder les villes de son pays. Et l'exclusion aérienne n'aura plus de raison d'être.