Quand un puissant séisme a dévasté la ville de Kobe, en 1995, le Japon a décidé de passer sa cinquantaine de centrales nucléaires à la loupe et d'en réviser les normes de sécurité.

Sismologue et directeur du Centre de recherche sur la sécurité urbaine à l'Université de Kobe, Katsuhiko Ishibashi a été appelé à se joindre au comité responsable de cette délicate opération. Quelques années plus tard, il l'a quitté en claquant la porte.

«Non seulement les nouvelles normes sont-elles insuffisantes, mais le système chargé de les mettre en vigueur est en lambeaux. Tout le processus de sécurité nucléaire est sérieusement déficient», avait-il alors dénoncé.

Le Japon a amorcé le virage nucléaire il y a 40 ans. À l'époque, le pays subissait une activité sismique relativement modérée. Mais, depuis Kobe, la terre s'est mise à bouger de plus en plus fort. Katsuhiko Ishibashi jugeait que les centrales nucléaires devaient être renforcées pour résister à un séisme d'une magnitude de 7,3. La majorité des membres de son comité ont opté pour un plafond de 6,5. Katsuhiko Ishibashi suggérait aussi de fermer les centrales dont le degré de protection ne pouvait pas être relevé. Là encore, sa recommandation n'a pas été retenue.

«À moins que des mesures radicales ne soient prises pour réduire la vulnérabilité des centrales aux tremblements de terre, le Japon pourrait vivre une vraie catastrophe nucléaire dans un avenir proche», avait-il conclu. Son article a paru en août 2007 dans l'International Herald Tribune, à une époque où quelques «incidents» nucléaires, avec fuites radioactives, avaient soulevé l'inquiétude.

Moins de quatre ans plus tard, «l'avenir proche» est devant nous... Et la sombre prophétie du professeur Ishibashi menace, hélas, de se réaliser.

Pour l'instant, le dénouement du suspense nucléaire à la centrale de Fukushima reste incertain. Et on peut espérer que le pire sera évité. Mais ce que l'on sait suffit pour conclure que le Japon ne souffre pas uniquement de failles sismiques. Il y a aussi des failles humaines.

À l'époque où il avait démissionné du comité d'experts sur la sécurité nucléaire, M. Ishibashi avait aussi dénoncé le laxisme de la firme japonaise TEPCO, qui exploite les centrales nucléaires nippones, et qui avait tendance, selon lui, à installer ses centrales trop près d'importantes failles sous-marines. En 2002, la même entreprise s'était fait prendre à falsifier des rapports d'inspection de ses centrales...

Le sismologue de Kobe avait aussi critiqué le fait que le comité d'experts était en majorité composé de membres de l'Association japonaise d'électricité - principal lobby pro-nucléaire au Japon.

M. Ishibashi avait fait beaucoup de bruit en quittant le groupe d'experts. Mais il est loin d'avoir été le seul à critiquer la politique nucléaire de son pays. Le choix même des réacteurs Mark 1, mal équipés pour réagir en cas de panne du système de refroidissement, a lui aussi soulevé beaucoup de questions.

Cette semaine, le Japan Times s'est joint aux critiques. «Les événements qui se sont déroulés à la centrale de Fukushima montrent clairement que le gouvernement et l'industrie énergétique n'ont pas réussi à implanter les protections nécessaires», écrit-il en éditorial.

Le journal se demande notamment pourquoi la centrale n'était pas équipée d'un deuxième système de secours, au cas où le premier flancherait. De nouveaux réacteurs européens, considérés comme plus sûrs, sont dotés d'une quadruple protection!

Depuis la terrible secousse de vendredi, il s'est écrit beaucoup de choses sur l'organisation de la société japonaise, sur la discipline et la dignité avec lesquelles ce peuple se relève d'une catastrophe dont on n'a pas encore mesuré toutes les conséquences. «Si les Japonais ne peuvent pas construire des réacteurs sécuritaires, qui le pourra?» demande une chroniqueuse du Washington Post.

C'est vrai que le Japon est un pays riche, développé et ultra-organisé. Vrai, également, que les victimes du séisme ne déchirent pas leur chemise en public et attendent patiemment qu'on leur donne de l'aide. Mais ce n'est pas une raison pour réduire le Japon à un stéréotype. La catastrophe de vendredi avait été bel et bien annoncée. La fragilité des centrales avait été bel et bien exposée. Mais les autorités politiques et l'industrie ont choisi de passer outre à ces avertissements. Et comme dans toutes sortes d'autres pays, plus ou moins bien disciplinés et organisés, ceux qui auraient pu réduire les risques de retombées nucléaires en cas de séisme ont préféré enfouir leur tête dans le sable.