La vague de révolte qui agite le monde arabe n'a pas épargné les territoires palestiniens. Dès la mi-mars, des dizaines de milliers de protestataires défilaient dans les villes de la Cisjordanie et de la bande de Gaza, répondant à un appel lancé sur les réseaux sociaux, selon un scénario semblable à celui que l'on a vu ailleurs au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.

Mais si les manifestants de Tunis, de Benghazi ou du Caire dénonçaient la corruption et la dictature, les jeunes Palestiniens, eux, n'avaient qu'un mot à la bouche: unité. Les deux organisations palestiniennes rivales, le Fatah et le Hamas, se livrent une lutte fratricide depuis cinq ans. En juin 2007, la confrontation a failli dégénérer en guerre civile. Depuis, le Fatah contrôle la Cisjordanie, tandis que le Hamas, groupe islamiste responsable de nombreux attentats contre Israël, règne sur la bande de Gaza.

De la Tunisie au Yémen, les protestataires appelaient leurs dirigeants à céder la place. Les Palestiniens, eux, leur demandent...de se parler.

Un manifeste poignant, publié sur Facebook, donne une idée de l'état d'esprit qui anime leur révolte. «Fuck Israël. Fuck Hamas. Fuck Fatah. Nous, les jeunes de Gaza, en avons assez d'Israël, du Hamas, de l'occupation, des violations des droits humains et de l'indifférence de la communauté internationale. [...] Nous en avons assez d'être prisonniers d'une lutte politique», lit-on sur le site Gaza Youth Breaks Out.

Cet appel a été en partie entendu. Mercredi, au Caire, le président de l'Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, et le leader du Hamas, Khaled Meshal, ont signé une entente qui prévoit la formation d'un gouvernement d'union provisoire, censé mener les Palestiniens vers de nouvelles élections, l'an prochain.

Ce n'est pas la première fois que les deux mouvements palestiniens essaient de recoller les pots cassés. Deux autres tentatives ont échoué dans le passé. Ce nouvel essai a suscité des réactions de joie prudente dans les territoires palestiniens...et un rejet tonitruant de la part d'Israël.

«L'Autorité palestinienne doit choisir entre la paix avec Israël et la paix avec le Hamas», a déclaré le premier ministre Benyamin Nétanyahou. Selon lui, l'accord entre le Fatah et le Hamas constitue «un coup fatal à la paix, et une grande victoire pour le terrorisme.»

Mais ce rejet absolu, sans autre forme de procès, fait totalement abstraction des raisons qui ont poussé les deux frères ennemis à tenter de se raccommoder.

Pour le président Abbas, la réconciliation est devenue nécessaire parce que les probabilités de négociations avec Israël frôlent le zéro absolu, explique Aaron David Miller, dans le magazine Foreign Policy.

À défaut de négociations, l'Autorité palestinienne se dirige vers une proclamation unilatérale d'un État souverain, potentiellement dès septembre. «Mais il serait difficile de proclamer un État virtuel en Cisjordanie et à Gaza alors qu'une faction rivale contrôle ce dernier territoire et s'en sert pour lancer des roquettes sur Israël», écrit l'analyste.

En d'autres mots, le Fatah se rabat sur la réconciliation non pas pour torpiller les perspectives de paix avec Israël, mais précisément parce que celles-ci sont inexistantes! S'il tend la main au Hamas, c'est pour montrer sa capacité de gérer un État palestinien uni. Et gagner en crédibilité sur la scène internationale.

Et le Hamas, lui? Eh bien, cette formation qui a promis monts et merveilles aux Palestiniens est aujourd'hui en perte de vitesse. Un récent sondage parvient à des résultats révélateurs:

- Les deux tiers des habitants de la bande de Gaza soutiennent des manifestations réclamant un changement de régime sur leur territoire. Dans la Cisjordanie contrôlée par le Fatah, à peine un tiers des répondants réclament le départ de leurs dirigeants.

- Si des élections avaient lieu ce printemps dans les territoires palestiniens, le Fatah recueillerait 40% des votes, contre 26% pour le Hamas. Lors d'un scrutin à la présidence, Mahmoud Abbas pourrait compter sur 55% des voix. Son éventuel rival du Hamas, Ismael Haniyeh, n'en recueillerait que 38%!

- La popularité du Hamas diminue avec l'âge des répondants. À peine 20% des Palestiniens de 18 à 27 ans soutiennent ce mouvement. Or, ce sont précisément ces jeunes adultes qui ont lancé le mouvement en faveur de la réconciliation palestinienne. C'est dire qu'ils pensent que le Hamas, avec ses idées radicales, sera «édulcoré» grâce au mariage et non le contraire.

Rappelons que l'accord entre les deux organisations rivales prévoit la tenue d'élections l'an prochain. Et que si la tendance se maintient, le Hamas, qui refuse de reconnaître Israël, soutient la lutte armée mais qui est aussi déchiré par ses propres tiraillements internes, risque fort de perdre ce vote...

Bref, n'en déplaise à Benyamin Nétanyahou, l'accord d'unité nationale est un pas positif, favorisant la stabilité, la paix et la démocratie chez les Palestiniens.

L'écho de cet accord dépasse évidement les frontières d'Israël. Lorsque le Hamas avait gagné les élections de janvier 2006, le Canada avait été le premier à cesser toute forme de collaboration avec le nouveau gouvernement, qui est ensuite tombé sous le coup d'un boycott international.

Que ferons-nous lorsque les deux territoires palestiniens, aujourd'hui séparés, seront de nouveau réunis? Suivrons-nous l'anathème jeté par Israël? La question cause déjà de bons maux de tête à Washington. Et elle ne manquera pas de resurgir à Ottawa...