D'abord, une date: le 13 mars 2011. Ce jour-là, des écoliers gribouillent des slogans inspirés par la révolution égyptienne sur les murs de la ville syrienne de Daraa, à 120 kilomètres de Damas.

Les autorités réagissent en arrêtant une quinzaine d'ados. Le lendemain, un appel à des manifestations massives en faveur d'une «Syrie sans tyrannie» apparait sur Facebook. Le 18 mars, les forces de sécurité tirent à balles réelles sur les manifestants. Ce qui entraîne de nouvelles manifestations. Et une répression de plus en plus brutale.

Deux mois plus tard, le bilan de la confrontation fait froid dans le dos. Plus de 800 morts. Des milliers de détenus. Plus de 200 personnes disparues. Dès les premières protestations, les soldats tiraient pour tuer des manifestants pacifiques, s'indigne Wissam Faris, directeur d'un organisme de défense des droits humains qui se trouvait à Daraa à la mi-mars. Il souligne que le régime fait des rafles de maison en maison, que des check points empêchent les gens de circuler, que des écoles et des terrains de soccer ont été transformés en prisons. Encore hier, des vagues d'arrestations se poursuivaient dans plusieurs villes dont les habitants risquaient de se faire coffrer pour le simple crime d'avoir pris une photo avec un téléphone cellulaire.

Comme Mouammar Kadhafi un mois avant lui, le président Bachar al-Assad a lancé une guerre contre son propre peuple. Mais si le premier avait suscité presque immédiatement une vague d'indignation internationale, le second, lui, continue à sévir contre ses opposants sans faire trop de vagues. Il y a bien eu un embargo sur les armes et des sanctions visant certains membres de son régime - mais pas le président en personne. Quant aux tentatives de saisir le Conseil de sécurité d'une résolution condamnant le régime syrien, elles se heurtent toutes à un mur.

Deux poids, deux mesures?

Si on la compare à la levée de boucliers à l'endroit de Kadhafi, la réaction face au régime syrien est plutôt mollassonne. Pourquoi?

D'abord, parce que le contexte est différent. En Libye, le régime s'apprêtait à reprendre une partie du pays d'où il avait été chassé par les rebelles, laissant planer la menace d'un carnage qu'il était possible de prévenir par une intervention militaire. Rien de tel en Syrie, où le régime n'a pas perdu de terrain, sinon dans les esprits. Et où ni les opposants, ni la Ligue arabe n'appellent à quelque protection militaire que ce soit.

Et puis, Bachar Al-Assad a réussi là où les autres dictateurs contestés avaient échoué avant lui: il a fermé le pays à double tour, tenant les médias internationaux à l'écart, et laissant très peu d'images filtrer à l'extérieur de ses frontières et ébranler l'opinion publique.

Un mal nécessaire?

Mais il y a d'autres raisons, plus difficilement avouables. Car la communauté internationale n'a peut-être pas tellement envie de voir chuter le dictateur syrien. Plusieurs voient Bachar al-Assad comme une sorte de mal nécessaire, une protection contre un éventuel éclatement du pays, voire une guerre civile. En Syrie même, les opinions sont partagées.

La Syrie est moins homogène que la Tunisie, l'Égypte ou la Libye. Les dirigeants syriens adhèrent à un rite musulman particulier: ce sont des Alaouites, qui forment à peine 10% de la population - qui est majoritairement sunnite. Une minorité qui impose sa poigne de fer à une majorité: ça ressemble au scénario irakien, ça. Et on a vu ce que cela a donné après la chute de Saddam Hussein.

La Syrie compte aussi 10% de chrétiens. «Ils regardent ce qui se passe actuellement en Égypte et ils ont peur», dit Joshua Landis, directeur d'un centre de recherche sur le Moyen-Orient à l'université de l'Oklahoma.

Le régime exagère habilement cette menace, jouant la carte du bouclier de stabilité sans lequel le pays serait livré au carnage et aux guerres religieuses. «Les Syriens ne sont pas sectaires, c'est de la pure propagande du gouvernement», proteste Wissam Faris. Mais cette propagande porte ses fruits.

«Les gens sont révoltés par les massacres, tous veulent des réformes démocratiques, mais en même temps, les minorités ont peur», dit Kinda Jayoush, journaliste d'origine syrienne qui vit à Montréal.

Enfin, la Syrie se trouve au milieu d'une région ultra instable. Ses voisins sont le Liban, Israël, l'Irak. Un changement de régime aurait forcément un impact au-delà de ses frontières. Lequel? Mystère et boule de gomme...

Tout ça pour dire que dans l'état actuel des choses, il y a, hélas, peu de chances pour que la planète déploie de gros moyens, même diplomatiques, pour faire plier Bachar al-Assad. Et pour qu'elle appuie avec force les Syriens qui risquent courageusement leur vie en défiant son régime implacable.