La famille Al-Kurdy, de la petite ville syrienne de Tal Kalakh, a reçu une livraison macabre il y a 10 jours. Une ambulance est venue lui porter deux cercueils contenant les corps des frères Majd et So'dat Al-Kurdy.

Les deux jeunes hommes avaient disparu à la mi-mai, quand l'armée a attaqué la ville pour y réprimer le mouvement de révolte contre le régime. Après un siège de trois jours, ponctué de tirs d'artillerie lourde, les militaires ont quadrillé les rues de Tal Kalakh. De maison en maison, presque tous les hommes ont été arrêtés.

Les ambulanciers ont déposé les corps de Majd et So'dat Al-Kurdy le dimanche 29 mai, devant la maison familiale. Ils n'étaient pas beaux à voir. Les traces des sévices étaient visibles malgré leur état de décomposition. Ils avaient été poignardés, fouettés. De plus, Majd avait eu le pénis tranché.

Désolée pour ces détails sordides, mais la répression en Syrie, c'est ça: des histoires à donner froid dans le dos. Le cas de Majd et So'dat Al-Kurdy a été documenté par une enquêteuse d'Amnistie internationale, Cilina Nasser.

Depuis les premières manifestations anti-régime, en mars, la Syrie s'est cadenassée à triple tour, ne laissant aucun étranger entrer sur son territoire. Pour faire son enquête, Cilina Nasser a recueilli les témoignages des réfugiés de Tal Kalakh qui avaient réussi à atteindre le village libanais de Wadi Khaled, de l'autre côté de la frontière. Elle n'a pas osé téléphoner à la famille des deux frères: elle risquait de l'exposer aux foudres du régime.

Mais trois témoins qui avaient assisté aux funérailles lui ont raconté la même histoire: la sinistre livraison, les corps estropiés. Ce n'est d'ailleurs pas un cas unique. Plusieurs autres corps maltraités ont été brutalement renvoyés à leurs proches.

Selon les plus récents témoignages, l'armée continue à terroriser cette petite ville frontalière. Durant le jour, les habitants se terrent. «J'ai parlé avec un homme qui s'est caché pendant des jours dans un réservoir d'eau», dit Cilina Nasser. La nuit, l'armée se retire et les gens sortent dans les rues, respirant enfin.

Pour Cilina Nasser, qui a passé une dizaine de jours à Wadi Khaled, les événements de Tal Kalakh illustrent la fureur de la répression qui s'abat sur les opposants qui défient le régime syrien depuis presque deux mois. «Si c'est ce qui se produit dans une ville proche de la frontière, où les gens peuvent fuir, imaginez ce qui survient dans des villes éloignées où la population est tenue captive», se désole-t-elle.

Un rapport récent de Human Rights Watch en donne une idée. Il concerne Daraa, la ville où le soulèvement a commencé, à la mi-mars. «Je n'ai jamais vu une telle horreur», affirme le titre du rapport, selon lequel l'État syrien se livre délibérément et systématiquement à des crimes contre l'humanité.

Au moment où j'écris ces lignes, les troupes du régime avancent vers Jisr al-Choughour, dans le nord-ouest de la Syrie. Les autorités prétendent que des insurgés y ont attaqué l'armée, faisant une centaine de morts. Des résidants et militants soutiennent que l'on se trouve plutôt face à une mutinerie. Les habitants de Jisr al-Choughour fuient massivement leur ville. L'armée et les forces de sécurité approchent. Et l'horreur continue.