Donatella Rovera est arrivée en Libye le 26 février, une dizaine de jours après les premières manifestations contre le régime de Mouammar Kadhafi. Responsable des missions d'urgence pour Amnistie internationale, elle s'attendait à y rester quelques semaines, le temps de voir le dictateur tomber sous la pression des foules. Un peu comme c'était arrivé, un peu plus tôt, en Tunisie et en Égypte.

Erreur: le colonel Kadhafi n'a pas suivi l'exemple de ses deux voisins. Donatella Rovero est finalement restée en Libye jusqu'au début juin.

Elle était là quand les troupes de Kadhafi s'apprêtaient à attaquer Benghazi, la «capitale» des insurgés. Elle a séjourné à Misrata au moment où cette ville était littéralement arrosée par les tirs d'artillerie des pro-Kadhafi.

Avec le temps, elle a aussi documenté les exactions et dérapages des rebelles. Leur fâcheuse propension à tirer en l'air pour tout ou rien. Les exécutions sommaires de soldats du régime.

Témoin privilégié de ce conflit qui s'éternise, Donatella Rovero n'a pourtant pas l'ombre d'un doute: l'intervention militaire de l'OTAN en Libye a «fait la différence» au moins dans ces deux villes. À Benghazi, les chars d'assaut de Kadhafi ont été bombardés in extremis, alors qu'ils fonçaient vers le centre-ville. Encore un peu et ils allaient pouvoir se positionner au milieu de quartiers résidentiels, rendant toute tentative d'intervention extrêmement délicate. Le massacre a été évité de justesse.

Justement, à Misrata, les chars de Kadhafi ont réussi à s'installer au centre-ville d'où ils ont semé la terreur pendant deux longs mois. Au plus fort du siège, ils faisaient pleuvoir des salves de 40 roquettes directement sur les quartiers résidentiels, raconte Donatella Rovera. «J'ai vu tant de familles tuées à l'endroit même où elles croyaient s'être réfugiées en toute sécurité.»

Misrata a finalement été libéré à la mi-mai, après deux mois de siège et pas loin d'un millier de morts. Aujourd'hui, les équipes de déminage quadrillent les rues et les habitants rentrent progressivement chez eux. Sans l'aide de l'OTAN, on n'en serait pas là.

L'intervention militaire en Libye n'a pas apporté les résultats souhaités, aussi rapidement qu'on l'aurait voulu. Exception faite de Misrata, l'ouest du pays reste sous le contrôle de Kadhafi. En reportage en Libye, en mars, j'ai visité la ville pétrolière de Brega, brièvement libérée par les rebelles. Ces jours-ci, ces derniers se battent toujours pour... reprendre Brega. La principale ligne de front n'a pas bougé depuis deux mois.

Pourtant, l'intervention internationale n'a pas été qu'un échec. À Misrata et à Benghazi, l'OTAN a sauvé des vies. Ce n'est pas rien. Mais il y a plus.

Au fil des mois, Kadhafi a perdu des appuis. À l'interne, avec de nouvelles défections. Et à l'étranger, avec la Chine et la Russie qui se sont rapprochées du Conseil national de transition, qui représente les rebelles à Benghazi. Et le Canada, qui a grossi hier les rangs des pays reconnaissant ce Conseil comme représentant légitime du peuple libyen.

«L'OTAN a sauvé le mouvement pro-démocratie en Libye», résume l'analyste Omar Ashouf.

Mais la mission de l'OTAN se heurte aujourd'hui à ses limites. Les loyautés tribales ont été sous-estimées: les villes sur le chemin de Tripoli ne sont pas toutes prêtes à accueillir les rebelles à bras ouverts. Incapables de poursuivre seuls leur avancée vers l'ouest, les rebelles ont besoin d'aide non seulement pour se protéger, mais aussi pour gagner du terrain. L'OTAN n'est plus seulement un bouclier, mais également une arme de guerre. Ce changement dans la nature de la mission, financée à grands frais par des pays aux prises avec leurs propres difficultés économiques, crée forcément un gros malaise.

Alors, on fait quoi? Au moment où la Chambre des communes vient de voter en faveur d'une mission prolongée, on peut aussi poser la question à l'envers: qu'arriverait-il donc si l'OTAN décidait du jour au lendemain de quitter la Libye?

Ce serait une défaite cuisante pour l'Occident, une perte stratégique importante et la voie ouverte à une «vengeance farouche» pour Kadhafi, résume l'analyste Sami Aoun. En d'autres mots: nous y sommes, ce n'est pas parfait, mais il n'y a pas vraiment d'autre possibilité.

Mais cela ne signifie pas que l'on doive fermer les yeux sur les dérapages des rebelles. Après tout, ils ont drôlement besoin du soutien de l'Occident. On ne manque pas d'arguments pour leur faire entendre raison.