Il y a Mona, qui a dû accoucher par terre, dans une tente, sans l'ombre d'une aide médicale. Il y a aussi Anita, qui n'a pas assez d'argent pour payer un taxi jusqu'à l'hôpital. Et cette autre femme qui a été refoulée par une maternité, faute d'argent pour payer sa césarienne.

Et puis, il y a Valmie, qui résume en trois phrases d'une cruelle lucidité le sort de trop nombreuses femmes haïtiennes, 17 mois après le tremblement de terre qui a dévasté leur pays. «Les filles qui n'ont pas de parents tombent facilement enceintes. Elles n'ont pas de ressources et elles doivent avoir des relations avec des hommes pour survivre. Les condoms, ça se trouve, mais les hommes ne veulent pas s'en servir.»

Valmie vit à Maïs Gaté, un de ces camps de la capitale où les rescapés du sinistre s'entassent par milliers. Réduites à la plus grande pauvreté, des milliers d'Haïtiennes s'y vendent parfois pour seulement 60 cents. Même quand ils veillent sur elles pendant quelques semaines, leurs amants de passage risquent fort de déguerpir dès qu'ils apprennent qu'elles attendent un bébé.

Mona, Anita, Valmie et des milliers d'autres femmes sont les grandes oubliées du séisme du 12 janvier 2010, constate Human Rights Watch dans un rapport rendu public hier. On y apprend qu'après le tremblement de terre, Haïti a connu un véritable baby-boom. Son taux de fertilité, en zone urbaine, est passé de 4 à 12%. Autrement dit, plus d'une femme en âge de procréer sur dix est enceinte!

Il n'est pas rare qu'une société fasse des bébés à la tonne après un grand traumatisme. C'est ce qui est arrivé en Occident après la Seconde Guerre mondiale: les jeunes couples ont tourné le dos à l'horreur et ont fabriqué des millions de baby-boomers.

Mais en Haïti, ce phénomène n'a rien de réjouissant. Les deux tiers de ces grossesses ne sont pas désirées. Et les Haïtiennes qui se retrouvent avec une bouche de plus à nourrir ne tournent le dos à rien. Elles sont simplement otages de leur misère.

Et maintenant, la question à cinq milliards: comment est-ce possible qu'avec toute l'aide qui s'est déversée sur Haïti depuis le fatidique 12 janvier, tant de femmes y soient toujours réduites à essayer d'avorter avec des médicaments contre les ulcères d'estomac, ou à accoucher dans la poussière d'un bébé conçu contre leur volonté, qu'elles n'ont pas les moyens de nourrir?

N'attendez pas de réponse unique à cette question. Il y a les ONG qui tirent chacune de leur bord, sans se coordonner. La reconstruction qui ne démarre pas assez vite. La difficulté de rejoindre ces femmes au milieu d'un camp de fortune, pour leur faire connaître les services auxquels elles ont droit.

Mais il y a aussi le blocage politique qui paralyse le pays depuis le printemps. Petit rappel: en mars dernier, les Haïtiens ont élu le chanteur populaire Michel Martelly à la présidence de leur pays. Depuis, celui-ci n'a pas encore réussi à faire nommer un premier ministre! À chaque initiative, son choix est bloqué par le Parlement - où la vaste majorité des députés appartiennent au camp politique adverse.

«Martelly croyait que son mandat tout neuf allait lui ouvrir des portes, mais les députés ont eux aussi été élus par la population», dit le rédacteur en chef du Nouvelliste de Port-au-Prince, Frantz Duval. Qui résume la situation ainsi: «Martelly s'attendait à un cadeau, mais le cadeau n'est pas venu. Maintenant, il doit se faire des alliés, sinon il ne pourra pas gouverner.»

Autrement dit, le gouvernement haïtien était paralysé après le séisme, puis il est entré en période électorale au cours de laquelle tout a été mis en suspens. Et depuis, il n'y a pas de gouvernement du tout...

Cette impasse semblait en voie de résolution, hier. Ce n'est pas trop tôt.