Connaissez-vous Robert Ford? Je ne parle pas du politicien populiste récemment élu à la mairie de Toronto, mais plutôt de l'ambassadeur des États-Unis en Syrie, diplomate aux lunettes rondes et au visage anguleux qui, mine de rien, est en train de révolutionner la définition du mot «diplomatie».

Robert Ford, donc, est arrivé en poste à Damas en janvier. Deux mois plus tard, la révolte arabe a gagné la Syrie. Et elle a été réprimée avec une rare brutalité. Au lieu de rester dans sa bulle, Robert Ford s'est rendu à Hama, où les manifestants l'ont accueilli en héros avec des roses et des branches d'olivier.

Le régime a réagi en lui interdisant de s'éloigner de Damas. Il a plutôt remis ça en se rendant à Jassem, autre ville où la révolte a été écrasée dans le sang. Une visite à haut risque puisque des manifestants pro-régime l'ont agressé il y a quelques jours à Damas.

Robert Ford ne se contente pas d'aller voir ce qui se passe là où peu d'Occidentaux ont eu la chance de mettre les pieds. Il en témoigne, aussi. «La télévision syrienne raconte toutes sortes de mensonges. Elle prétend qu'il y a des gangs armés à Hama. Eh bien, la seule arme que j'y ai vue est un lance-pierre», raconte-t-il dans une entrevue à ABC.

Rare langage pour un diplomate. Ajouté à la page Facebook de l'ambassade, qui n'hésite pas à critiquer le régime du président Assad, ce franc-parler tranche avec le ton de l'ambassade du Canada, dont le site web rappelle que «la Syrie est un pays ancien à l'histoire remarquable», avant de dresser la liste de ses sanctions. Quant aux entrevues avec l'ambassadeur Glenn Davidson, n'y pensez même pas: c'est motus et bouche cousue.

On peut se demander ce que Robert Ford peut bien accomplir en défiant les autorités syriennes. Ses voyages sont une épée à deux tranchants. Déjà, le régime s'en sert pour faire la preuve de l'ingérence de Washington dans les affaires intérieures du pays. Mais il y a ce manifestant de Hama qui a raconté comment la visite de l'ambassadeur l'avait réconforté, comment il s'était senti protégé, ce jour-là. Ce n'est pas beaucoup. Mais c'est déjà ça.

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Chaque jour, de nouvelles preuves s'ajoutent étayant la barbarie dont Bachar al-Assad est capable pour s'accrocher à son siège. La dernière enquête d'Amnistie internationale dénombre 88 morts dans les geôles syriennes depuis le début des protestations. Plus de 50 de ces prisonniers ont été torturés avant de mourir. Et plusieurs ont été «mutilés de façon particulièrement grotesque, avant ou après leur mort, dans le but apparent de semer la terreur chez leurs proches à qui les corps étaient retournés.» Parmi ces victimes estropiées, il y avait des enfants...

Qu'est-ce qu'il nous faut donc de plus pour couper radicalement avec les bouchers de Damas? Au cours des dernières semaines, la communauté internationale a enfin haussé le ton. Plusieurs pays ont demandé au président Assad de faire ses valises. Le Canada a embarqué dans le train des sanctions ciblées contre des membres de son régime. Mais tout ça reste bien timide, si on compare au traitement réservé à Mouammar Kadhafi...

Contrairement aux opposants libyens qui avaient appelé la communauté internationale à leur secours, les manifestants syriens ne veulent aucune aide militaire. Ils veulent se battre par leurs propres moyens. Et pacifiquement. Ne serait-ce que pour cette raison, la question d'une intervention militaire en Syrie ne se pose pas.

En revanche, le régime Assad a un point sensible: le pétrole. Et c'est là qu'on peut l'atteindre. Récemment, les États-Unis ont imposé un embargo pétrolier contre la Syrie et coupé leurs liens commerciaux avec ce pays. C'est ce que pourrait faire le Canada et c'est le type de sanctions que pourrait décréter l'ONU.

Mais pour ça, il faut vaincre les résistances de la Russie et de la Chine. Et aussi celles des pays qui brassent des affaires en Syrie. L'Europe y est présente, avec les pétrolières Total et Shell. Et, dans une moindre mesure, le Canada, avec un projet gazier de Suncor.

Arrêter de commercer avec Damas. Couper les liens diplomatiques avec ce régime sanguinaire. Fermer le robinet du pétrole. Demander à la Cour pénale internationale de s'occuper du cas du président Assad. Il y a moyen d'accentuer les pressions sur le régime syrien. Encore faut-il vraiment le vouloir. Et cesser de ménager nos arrières au cas où il survivrait à la révolte.