Imaginez que votre mère vient de mourir et que vous êtes placé devant un choix déchirant: ou bien vous assistez à ses funérailles, au risque de perdre tout un trimestre universitaire, ou alors vous poursuivez vos études, mais vous laissez tomber les funérailles. Que faites-vous?

Dans un monde normal, personne ne devrait se trouver devant ce genre de dilemme. Mais la machine d'Immigration Canada n'est pas un monde normal. C'est un labyrinthe kafkaïen truffé de questions sans réponses et de lignes téléphoniques qui n'aboutissent nulle part.

Un étudiant de l'Université de Montréal a erré dans ce labyrinthe pendant plusieurs jours, la semaine dernière, après avoir appris la mort subite de sa mère, dans son pays natal, Haïti. Il a remué ciel et terre pour pouvoir se rendre à Port-au-Prince à temps pour les funérailles, avec l'assurance de pouvoir ensuite reprendre le fil de ses études à Montréal. Mais il s'est heurté à un mur aveugle et a fini par baisser les bras.

J'ai rencontré cet étudiant vendredi dernier à l'École de travail social de l'Université de Montréal. Appelons-le Joseph. Voici son histoire.

Joseph, donc, fait partie d'un groupe de 12 étudiants haïtiens arrivés à Montréal il y a un an, grâce à un programme d'échange universitaire. Ils ont tous terminé leur baccalauréat et avaient tout ce qu'il faut pour s'inscrire à la maîtrise. Petit hic: à cette étape, la formule de l'échange universitaire n'était plus possible. Ils tombaient dans la catégorie «étudiants étrangers», avec les droits de scolarité élevés et les tracasseries bureaucratiques que cela implique.

Mais leurs profs se sont mobilisés, l'Université leur a offert une bourse, et Joseph et ses amis ont pu entreprendre leurs études de deuxième cycle. Puis, il y a 10 jours, Joseph a reçu le coup de fil fatal, celui qui a tout fait basculer: sa mère venait de mourir.

Dans les jours qui ont suivi, Joseph n'a pas quitté Montréal, mais il a fait le tour de l'Absurdistan. Je vais essayer de raconter ça aussi simplement que possible. Mais prenez une bonne respiration...

Quand il est arrivé à Montréal, en octobre 2010, Joseph était muni d'un permis d'études valide jusqu'au 15 septembre 2011 et d'un visa de résident temporaire, qui lui donnait le droit d'entrer une seule fois au Canada.

Depuis leur inscription à la maîtrise, Joseph et ses amis ont fait toutes les démarches nécessaires pour prolonger leur permis d'études et leur visa. C'est une procédure administrée par un bureau de l'immigration à Vegreville, en Alberta. Un centre «inaccessible au grand public» précise le site web du Ministère. Temps d'attente moyen pour le traitement d'une demande: 64 jours.

Les étudiants en attente de leur nouveau permis tombent dans une catégorie appelée joliment «permis implicites». Ils peuvent donc poursuivre leurs études même si leur ancien permis est expiré. Sauf... s'ils sortent du Canada sans visa de retour. Là, ils perdent leur statut. Tout est à recommencer.

Comme la loi ne permet pas à Joseph de transformer son visa actuel en un visa à «entrées multiples», pour pouvoir faire l'aller-retour Montréal-Port-au-Prince, il devait obtenir son nouveau permis, et son nouveau visa.

Joseph a envisagé de demander un simple visa de touriste pour revenir à Montréal après les funérailles. Mais à supposer même que l'ambassade du Canada à Port-au-Prince le lui aurait délivré à temps, il aurait perdu le droit d'assister à ses cours. C'était l'impasse.

Quand il a appris la terrible nouvelle, Joseph a téléphoné à un agent d'immigration, qui l'a renvoyé à un site web, qui ne l'a renvoyé nulle part. Ne sachant plus à quel saint se vouer, la responsable du groupe d'étudiants haïtiens à l'UdM, Dominique Damant, a appelé le bureau du porte-parole du Bloc québécois en matière d'immigration, le député André Bellavance. Son adjoint, Matthieu Levasseur, a donné quelques coups de fil. Il a conclu que, sur le plan strictement juridique, le dilemme de Joseph était inextricable. Il devait choisir entre sa mère et ses études.

«C'est aberrant», dénonce le député Bellavance. Il rappelle que le ministre a le pouvoir discrétionnaire de débloquer des dossiers pour des raisons humanitaires. Mais là, il est de toute façon un peu tard. Les funérailles de la maman de Joseph ont eu lieu lundi.

Et puis, les questions de vie ou de mort exigent, par définition, une intervention d'urgence. Et un ministre, ça doit avoir d'autres chats à fouetter que des questions administratives qui relèvent du gros bon sens.

Car, quand on y pense, le problème de Joseph aurait été facile à résoudre. Sa demande de nouveau permis d'études est déjà dans la machine. Avec un coup d'accélérateur, tout aurait pu se régler en quelques jours. Joseph aurait pu enterrer sa mère en paix. Et rentrer à Montréal pour reprendre son trimestre.

Mais pour ça, encore aurait-il fallu qu'il tombe, dans le dédale du ministère d'Immigration, sur un être humain sensible et capable de faire bouger la machine. Joseph a eu beau chercher, il n'en a pas trouvé. Il n'y avait aucun lieu, aucune prise pour une situation d'urgence comme la sienne.

Quand je l'ai rencontré, vendredi, Joseph avait le coeur gros. Mais après six jours de montagnes russes, il s'était résigné: «C'est vraiment dur, mais je n'ai pas le choix.»

Il avait la voix éteinte. Et moi, j'avais un petit peu honte...