Les Tunisiens ne sont pas les seuls à craindre de ne pas pouvoir participer à leurs prochaines élections depuis le Canada. Une récente directive d'Ottawa, qui s'oppose à la présence de circonscriptions étrangères en sol canadien, touche aussi quelque 60 000 Français vivant au Canada.

Traditionnellement, ces «expats» étaient rattachés à une circonscription électorale en France. Mais les règles du jeu ont changé l'an dernier. La France a créé 11 circonscriptions électorales à l'étranger. L'une d'entre elles regroupe le Canada et les États-Unis.

Quand ils iront élire leur député à l'Assemblée nationale, en juin, les membres de la diaspora française au Canada pourront voter pour un candidat de cette circonscription nord-américaine. C'est du moins ce qu'a prévu leur gouvernement. Mais Ottawa voit la présence de ces circonscriptions étrangères comme une atteinte à sa souveraineté.

«Le gouvernement continuera de refuser en principe toute demande d'autres États d'ajouter le Canada à leurs circonscriptions électorales extraterritoriales respectives», avertit une circulaire du ministère des Affaires étrangères, datée du 8 septembre.

Cette directive plutôt nébuleuse a suscité beaucoup de questions. Des fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères ont tenté d'y répondre en conférence téléphonique, hier.

Il en ressort, en gros, qu'Ottawa craint que des députés élus au Canada pour siéger dans un gouvernement étranger ne soient perçus comme des représentants du Canada -ce qui porterait atteinte à la souveraineté canadienne. Il en ressort aussi que le gouvernement canadien n'a aucun moyen légal d'empêcher les électeurs étrangers de voter à quelque scrutin que ce soit. Il s'attend simplement ce que ces exigences soient respectées, par courtoisie diplomatique.

Mais qu'arrivera-t-il avec les pays qui ne l'ont pas fait, comme la France et la Tunisie? Des discussions ont actuellement lieu avec leurs représentants. Mais le gouvernement espère que la Tunisie changera ses lois électorales afin que ses ressortissants puissent voter le 20 octobre.

C'est beaucoup trop tard, déplore Bochra Manai, de l'Instance supérieure indépendante pour les élections tunisiennes. «Pour faire plaisir au Canada, il faudrait que le président de la Tunisie change le décret électoral, alors que les élections ont lieu dans moins de trois semaines!»

Les diplomates français ont eux aussi entrepris des discussions avec les autorités canadiennes, pour s'assurer que leurs «expats» puissent voter en juin.

La position canadienne est d'autant plus étonnante qu'aucun autre pays n'a fait preuve de ce genre de scrupule. Du Danemark à la Croatie, en passant par l'Allemagne, la Barbade ou les États-Unis, tous inclus dans des circonscriptions extraterritoriales française, cette façon de voter n'a pas soulevé la moindre vague.

Les fonctionnaires fédéraux ont expliqué hier que la nouvelle politique canadienne, adoptée sans avoir été rendue publique(!) il y a trois ans, fait suite à une demande de l'Italie, qui a instauré les circonscriptions extraterritoriales en 2008.

Le Canada fait partie d'une circonscription extraterritoriale italienne qui regroupe aussi le Mexique et les États-Unis. À leurs prochaines élections, prévues pour 2013, cette circonscription devra disparaître, exige le Canada.

Mais Giovanni Rapana, représentant du Conseil général des Italiens à l'étranger, ne voit pas comment Ottawa pourrait empêcher les Italo-Canadiens de voter par correspondance, ne serait-ce que pour élire leur représentant mexicain ou américain. Selon lui, «le gouvernement canadien est mal conseillé.»

Les circonscriptions extraterritoriales sont l'exception plutôt que la règle. Des élections parlementaires ont lieu en Pologne dimanche. Les Polonais établis au Canada pourront y participer... mais leurs votes s'ajouteront à ceux d'une circonscription polonaise. Idem pour les Marocains qui iront voter le 24 novembre.

La tendance à la «délocalisation» électorale est nouvelle. Il s'agit peut-être d'un phénomène propre à notre époque où la frontière entre l'endroit où l'on vit et celui d'où l'on vient est de moins en moins étanche.

Il y a là matière à réflexion, ou à débat. Mais le Canada s'est contenté de brandir des interdits. Faisant ainsi preuve d'une susceptibilité nationale unique au monde.

Ce qui surprend surtout Bochra Manai, c'est que le Canada n'a jamais empêché les Tunisiens de voter au Canada à l'époque de la dictature. Qu'Ottawa mette des bâtons dans les roues d'un premier vote démocratique lui paraît assez absurde, merci.