Quelques jours après le début du soulèvement libyen, le colonel Mouammar Kadhafi avait fait circuler une vidéo dans laquelle il menaçait de pourchasser ses opposants ruelle par ruelle, maison par maison. «Zenga zenga, dar dar», y martelait-il, l'air halluciné.

C'est finalement lui qui a été retrouvé dans le trou où il s'était terré, à Syrte, sa ville natale.

Après 42 ans de règne, «le roi des rois d'Afrique», l'homme qui n'hésitait pas à se faire livrer du lait de chamelle en avion, ni à semer la terreur en invitant des écoliers à des pendaisons publiques, semble avoir passé ses dernières heures au fond d'un égout.

Difficile de mieux symboliser la chute de ce dictateur excentrique et sanguinaire, qui a frayé avec les terroristes en tout genre avant de revêtir les habits de la respectabilité et de faire ami-ami avec les grands de ce monde.

La mort de Kadhafi marque la fin d'un sombre chapitre dans l'histoire de la Libye. La nouvelle ère s'ouvre sur des questions et des incertitudes. À commencer par la zone d'ombre entourant les circonstances de la mort du dictateur.

Sur les vidéos qui ont circulé hier, on l'a vu marcher d'un pas chancelant. Puis, il y a eu l'image de son cadavre. Entre les deux, il s'est bien passé quelque chose. Mais quoi? Selon la version officielle du Conseil national de transition, il aurait été victime d'un échange de coups de feu. Et s'il avait été carrément abattu? Comme nous l'enseigne l'histoire, les exécutions sommaires ne constituent pas la meilleure transition vers la démocratie.

La Libye fait aujourd'hui face à des défis colossaux. Premier défi: les insurgés devront rendre leurs armes. C'est le «critère fondamental» du succès de la révolution libyenne, souligne Jean-Pierre Filiu, politicologue et auteur d'un récent essai sur le printemps arabe. (1)

Le soulèvement libyen a d'abord été pacifique. Attaqués, les manifestants ont saisi les arsenaux du régime. Et ils se sont retrouvés en possession de milliers de kalachnikovs et de lance-roquettes. Tant que le pays ne sera pas démilitarisé, la tentation de s'en servir restera grande...

L'autre gros défi, selon Jean-Pierre Filiu: éviter le piège irakien de la «débaasification». Après la chute de Saddam Hussein, les membres du parti Baas ont été traités en parias. Ce qui a alimenté la guerre civile qui a suivi.

De façon plus large, la nouvelle Libye devra relever le défi de la justice. Toutes les guerres civiles comportent leur lot de dérapages et d'actes de vengeance. La Libye ne fait pas exception. Ses dirigeants devront maintenant convaincre les combattants de faire confiance à un système de justice qui reste à construire - comme toutes les autres institutions de ce pays annihilé par 42 ans de kadhafisme.

L'organisation Human Rights Watch encourage d'ailleurs les nouveaux dirigeants de la Libye à montrer immédiatement leurs couleurs en lançant une enquête sur la mort de Kadhafi. Suivront-ils ce conseil?

L'autre défi est celui de l'unité. Au cours des derniers mois, des fissures sont apparues au sein de ce gouvernement de fortune. Le chef d'état-major rebelle a été assassiné en juillet, exacerbant les tensions internes. La chute de Kadhafi les apaisera-t-elle? Ou déclenchera-t-elle une nouvelle lutte pour le pouvoir?

La victoire militaire des insurgés libyens soulève des craintes, mais elle inspire aussi quelques leçons. Le soulèvement a commencé quelques jours après la chute d'Hosni Moubarak, en Égypte, et un mois après la fuite du président Ben Ali, en Tunisie.

Contrairement à ses voisins, Mouammar Kadhafi a fait le pari de la répression absolue. Et il l'a perdu. Grâce à l'aide de l'OTAN, bien sûr. Mais la victoire d'hier, c'est d'abord celle de tout un peuple qui s'est soulevé contre son tyran.

Leçon numéro un: la stratégie de la violence absolue ne suffit pas pour arrêter le cours de l'histoire. À méditer à Damas et à Sanaa...

L'autre leçon, c'est qu'une guerre civile qui s'étire n'est pas nécessairement vouée à l'échec. Au cours des derniers mois, les avancées et les reculs des insurgés ont fini par lasser. Puis, il y a eu la chute de Tripoli. Et celle, définitive, de Syrte, où le régime Kadhafi a rendu son dernier soupir.

Si la Libye réussit vraiment son virage démocratique, on devra conclure que l'intervention de l'OTAN, malgré ses objectifs changeants et confus, aura été utile, après tout.

La dernière leçon est une leçon de courage. Celui des étudiants, ouvriers ou professeurs qui n'avaient jamais touché à une arme de leur vie avant de se joindre à un assaut chaotique contre leur dictateur. Et qui ont gagné.

1. La révolution arabe: 10 leçons sur le soulèvement arabe. De Jean-Pierre Filiu, éditions Fayard.