Depuis huit mois, le régime syrien massacre sa population, loin des regards indiscrets. Aucune organisation humanitaire n'a pu entrer à l'intérieur du pays. Et c'est en recueillant des témoignages auprès de réfugiés syriens, ou par téléphone et internet, que Human Rights Watch a documenté la brutalité de la répression.

Son deuxième rapport, publié vendredi, dresse la liste des horreurs survenues à Homs, ville d'un million et demi d'habitants considérée comme la capitale de la révolte. Manifestations pacifiques arrosées de balles, civils assassinés pendant les funérailles de leurs proches, enfants torturés, médecins arrêtés parce qu'ils ont soigné des blessés, blessés achevés dans les hôpitaux. On n'est pas, ici, dans le domaine de quelques balles mal tombées. Il s'agit d'exactions massives et délibérées, qui constituent des crimes contre l'humanité, selon HRW.

La Syrie est tout aussi barricadée contre les médias. Les rarissimes journalistes étrangers qui ont pu y entrer l'ont fait à leurs risques et périls. Pour accéder à Homs, Sue Lloyd-Roberts, de la BBC, a traversé des points de contrôle avec de faux papiers, se faisant passer pour la parente sourde et muette de ses accompagnateurs.

Le journaliste français Nicolas Henin a passé deux jours à Homs, fin septembre. Il y était entré par la frontière turque, illégalement, avec un passeur à moto qui lui a donné des sueurs froides.

Leurs reportages confirment, pour l'essentiel, ce que dit Human Rights Watch. La majorité des manifestations sont pacifiques. Les militaires qui ont fait défection affirment avoir reçu l'ordre de tuer. Et ceux qui sont restés loyaux au régime n'hésitent pas à exécuter cet ordre.

Depuis huit mois, plus de 3500 personnes ont péri, et des dizaines de milliers d'autres sont détenues dans des conditions abjectes. Mais le pire est peut-être à venir. «Les soldats qui ont quitté l'armée sont partis avec leurs armes», dit Joe Stork, de HRW. Et ils s'en servent de plus en plus. Le soulèvement syrien est en train de se militariser et pourrait sombrer dans la guerre civile.

Les manifestants sont plus jeunes et plus radicaux qu'au début du soulèvement, dont les premiers leaders sont tous... en prison, constate le directeur du Monde diplomatique arabe, le Syrien Samir Aïta.

Tout en déplorant cette radicalisation, il en impute la responsabilité au régime, qui a «poussé les gens vers cette extrémité». Et qui a aussi joué la carte des divisions religieuses - avec, hélas, un certain succès. Samir Aïta a eu vent de plusieurs cas de représailles contre des Syriens appartenant à tel ou tel groupe religieux. Il cite l'exemple d'un village où des opposants ont kidnappé une vingtaine de femmes allaouites, la religion de la famille du président Bachir al-Assad.

Le journaliste Nicolas Hénin a également constaté «un véritable problème de confessionnalisme.» Et il en conclut que «cette révolution est mal partie.»

Human Rights Watch a entendu parler de ces «assassinats confessionnels.» Des assassinats qui font l'affaire du régime, qui s'en sert pour discréditer l'opposition.

Celle-ci est affaiblie et divisée. D'un côté, il y a les «comités de coordination» qui dirigent le soulèvement à l'intérieur du pays. De l'autre, le Conseil national de transition, qui réunit surtout des membres de la diaspora. Et ils ne parlent pas d'une seule voix.

Deux scénarios se dessinent actuellement et ils sont très sombres. Ou bien le régime parvient à écraser le soulèvement, et remplit les cimetières et les salles de torture de tous ceux qui y ont pris part, de près ou de loin. Ou bien il sombre dans une guerre civile sur fond de religion.

Et ce n'est pas une intervention militaire étrangère qui sauverait la mise. «Elle causerait une catastrophe humaine plus grande encore que celle que l'on connaît maintenant», dit Samir Aïta.

Selon lui, la solution, s'il y en a une, doit venir d'abord et avant tout des voisins et amis de la Syrie. Et justement: ce week-end, la Ligue arabe a enfin haussé le ton à l'endroit du régime Assad, menaçant d'exclure la Syrie dès mercredi, à moins d'un changement de ton radical - dont on ne voit aucun signe avant-coureur pour l'instant.

Ce geste est dur et sans équivoque. Deux autres pays ont été chassés de la Ligue arabe dans le passé. L'Égypte, après avoir conclu un traité de paix avec Israël (La Ligue l'a réadmise par la suite). Et la Libye de Kadhafi.

Le président Assad n'est pas un bouffon comme Kadhafi, dont plusieurs pays arabes étaient contents de se débarrasser. Si la Ligue s'est résolue à le chasser de ses rangs, c'est que le carnage auquel il se livre depuis huit mois ne passe plus. C'est un tout petit signe positif dans un horizon rouge sang...