Le corps d'une fillette de 7 ans est recouvert d'un linceul blanc dans une clinique improvisée à Homs, en Syrie. Elle a été tuée ce week-end quand un obus de l'armée syrienne a fracassé le toit de sa maison.

Plus loin, un adolescent au visage arraché. Et une femme qui veille au chevet de son fils blessé, en hurlant: «Donnez- nous des armes, on va se défendre!»

Cette scène d'horreur est tirée d'un reportage radio de Paul Wood, un correspondant de la BBC qui a réussi à atteindre Homs, cette ville syrienne où, après 11 mois de soulèvement, la guerre civile fait désormais bel et bien rage.

Depuis l'échec diplomatique devant le Conseil de sécurité, samedi, nous assistons à une double escalade de la crise syrienne. D'un côté, le régime al-Assad intensifie la répression, n'hésitant pas à arroser des quartiers résidentiels à l'artillerie lourde. D'un autre côté, les réactions internationales se radicalisent. Hier, Washington a fermé son ambassade à Damas. La France explorait la possibilité de créer un «Groupe de pays amis de la Syrie», excluant la Russie et la Chine, tandis que Moscou traitait d'hystériques ceux qui lui reprochent d'avoir torpillé une résolution qui traçait le chemin vers un transfert de pouvoir à Damas.

N'y a-t-il donc plus d'autre solution qu'un affrontement tous azimuts? J'ai posé la question, hier, à Samir Aita, économiste d'origine syrienne qui dirige l'édition arabe du Monde diplomatique, à Paris. Il était atterré par le dénouement du débat à l'ONU. Mais il portait aussi, sur cette crise, un regard plus nuancé que ce qu'on lit dans la plupart des grands médias. Je ne sais pas s'il a raison, mais ça vaut la peine de l'écouter.

Au sujet du vote au Conseil de sécurité.

Selon Samir Aita, si les Russes ont opposé leur veto, c'est parce qu'ils se sont fait forcer la main vers une résolution qui risquait d'aller bien plus loin que ce que demandait la Ligue arabe, à l'origine de cette démarche devant l'ONU.

«Cette réunion a été organisée à l'initiative de la Ligue arabe. Mais certains pays, dont le Qatar, ont voulu changer les choses. Et les Russes craignaient que le dossier syrien ne soit retiré à la Ligue arabe, ils avaient peur de la répétition du scénario libyen.» En d'autres mots, Moscou avait quelques raisons de se méfier de se faire entraîner dans un engrenage militaire, comme ç'a été le cas en Libye.

Au sujet de l'impact de cette déconfiture diplomatique.

«Cet affrontement international est très mauvais pour les Syriens. Il aurait mieux valu montrer une image d'unité devant le pouvoir syrien, pour qu'il se sente isolé, qu'il se sente obligé de céder sous la pression.» Au lieu de ça, «on va prolonger les souffrances du peuple syrien.»

Au sujet de la suite des choses.

«Maintenant, la communauté internationale est bloquée. Et le régime va essayer d'écraser le soulèvement, surtout à Homs, là où le conflit est en train de se militariser. Mais le régime se leurre, il est fou de penser qu'il va y parvenir. Dès qu'il va relâcher la pression militaire, les manifestations vont reprendre de l'ampleur.»

«Le régime syrien en est conscient, il sait qu'il y a un blocage, mais il ne sait pas comment s'en sortir.»

Au sujet des demandes de l'opposition syrienne, qui réclame des zones d'exclusion aérienne et des couloirs humanitaires.

«Ces couloirs humanitaires, il faudra les protéger militairement. Dès qu'on s'engage dans cette voie, on ouvre une boîte de Pandore, on entre dans l'ordre d'un conflit régional.» Bref, la guerre pourrait déborder au-delà des frontières syriennes. Mauvaise idée...

Au sujet des opposants syriens.

Selon Samir Aita, l'opposition syrienne est loin de parler d'une seule voix. C'est une minorité qui réclame, par exemple, de l'aide militaire. «La plupart d'entre eux sont liés au Conseil national syrien, mais ils ne représentent pas l'ensemble des voix d'opposition.» Celle-ci est déchirée par des tensions très vives. «Récemment, le chef de l'Armée syrienne libre est monté au créneau pour traiter les membres du Conseil national syrien de ronds-de-cuir politiquement inefficaces.»

Au sein même du Conseil national syrien, qui regroupe des Frères musulmans et des ex-communistes, les tensions seraient si fortes que le poste de l'actuel président, Burhan Ghalioun, sociologue syrien exilé à Paris, est actuellement contesté.

Au sujet du soutien dont Bachar al-Assad jouit encore en Syrie.

«Le régime est criminel, mais il y a encore des gens qui le soutiennent. Selon moi, environ 30% de la population. La plupart d'entre eux ont simplement peur du chaos.»

Le régime a lui-même joué la carte du chaos et des tensions religieuses pour faire peur au monde, convient Samir Aita. «Mais maintenant, il faut tenir compte de cette situation. Il faut convaincre plus de gens d'aller vers le changement.»

Et le mode d'emploi pour une sortie de crise, alors?

Eh bien, Samir Aita n'en a pas. Sauf ce mince espoir que les traditionnels amis du régime Assad, tels que la Russie et l'Iran, finiront par l'aider à cheminer vers la sortie...