Au départ, tout pointait vers un tueur nourri par une idéologie d'extrême droite, antisémite et islamophobe à la sauce néo-nazie. Une sorte de réédition d'Anders Breivik, cet illuminé qui a massacré des dizaines de jeunes participant à un rassemblement social-démocrate, l'été dernier, à Oslo.

Puis, coup de théâtre. L'homme soupçonné d'avoir froidement assassiné trois militaires d'origine maghrébine, puis un professeur et trois enfants dans une école juive de Toulouse, ne s'appelle ni Paul ni Pierre, mais Mohamed. D'origine algérienne, mais né en France, c'est un petit délinquant dans la jeune vingtaine, qui a déjà séjourné au Pakistan et en Afghanistan. Et qui, selon ce que l'on en sait au moment où j'écris ces lignes, se présente comme un fou d'Allah, un djihadiste affilié au mouvement Al-Qaïda.

Voilà qui donne une toute nouvelle couleur à cette terrible tragédie qui, veut, veut pas, a déjà commencé à déteindre sur la campagne en vue de la présidentielle du 22 avril.

Le premier prix de la récupération politique va à la leader du Front national (FN), Marine Le Pen, qui s'était terrée dans le silence tant que l'hypothèse d'un assassin venu de la droite, et qui aurait peut-être, sait-on jamais, déjà frayé dans son propre parti, n'avait pas été officiellement écartée.

Soulagée de voir le suspect changer de camp, Mme Le Pen a enfourché son cheval de bataille favori: la peur de l'islam. «Des groupes politiques et religieux se développent face à un certain laxisme», a-t-elle lancé hier, dans une entrevue télévisée.

Puis: «Il faut maintenant mener cette guerre contre des groupes politico-religieux fondamentalistes qui tuent nos enfants chrétiens, nos jeunes hommes chrétiens, nos jeunes hommes musulmans et les enfants juifs.»

D'accord, cette tuerie est une aubaine politique pour Mme Le Pen. Elle apporte de l'eau à son moulin. Mais la patronne du FN aurait fait preuve d'un peu plus d'élégance si elle avait attendu d'en savoir davantage sur Mohamed Merah avant de l'associer à «des» groupes qui veulent tuer «nos» enfants... Et avant de jouer celle qui avait bien averti ses concitoyens des calamités qui les attendaient...

Nettement plus dignes, les autres candidats à la présidentielle ont fait des efforts louables pour observer une trêve politique au lendemain du carnage. Mais dans leurs entourages respectifs, on n'en calcule pas moins les retombées potentielles de cet événement, qui pourrait tourner à l'avantage du président Sarkozy, d'après les premières analyses.

Nicolas Sarkozy est déjà perçu comme le plus compétent des candidats en matière de sécurité et d'immigration, selon un récent sondage. Sa prestance d'homme d'État au lendemain de la tragédie pourrait renforcer cette image. On l'a vu vanter les vertus de l'unité, et appeler à la résistance contre «l'amalgame et la vengeance», avec une solennité toute présidentielle. Sous-entendu: les musulmans ne sont pas tous des islamistes et des tueurs potentiels. Il ne faut pas faire porter le crime d'un fou furieux à toute une communauté.

C'est fort bien. Mais c'est oublier que le même Nicolas Sarkozy n'a pas hésité à égratigner cette même unité nationale en jouant sur les thèmes de l'identité et de l'immigration pour grappiller quelques voix au Front national, au cours des derniers mois.

«Il y a trop d'étrangers sur notre territoire», a-t-il lancé dans une assemblée politique, pas plus tard que le mois dernier. Nicolas Sarkozy, le président, appelle à l'unité du pays. Mais Nicolas Sarkozy, le candidat, promet de réduire de façon draconienne le nombre de nouveaux arrivants admis chaque année en France, y compris ceux munis de visas professionnels. Le thème n'est pas nouveau. Déjà en 2010, dans un discours remarqué, Nicolas Sarkozy ne s'était pas gêné pour associer délinquance et immigration - pas fort, pour quelqu'un qui dénonce les amalgames!

En pleine campagne électorale, il a aussi attrapé au vol le ballon de la viande halal, lancé par Marine Le Pen: pas question de perdre des votes chez les ennemis de l'abattage islamique rituel.

Apôtre de l'unité au lendemain de la terrible tuerie de Toulouse, Nicolas Sarkozy a allégrement joué la carte de la division quand il le jugeait opportun. Au risque d'exacerber les tensions sociales qu'il prétend aujourd'hui vouloir apaiser. Un peu gênant, quand même.