Cette semaine, une juriste reconnue dénonçait des amendements à la Loi sur la santé, passés inaperçus, qui auraient pour effet de permettre la coexistence, dans les centres médicaux spécialisés, de médecins participants au régime public de santé et de médecins qui s'en sont désaffiliés pour choisir une pratique purement privée.

Une question naïve m'est venue à l'esprit. Qu'est-ce que les juristes font là-dedans? Et ce n'est pas la première fois que ça me frappe. Dès qu'une initiative, surtout liée au privé, fait l'objet d'un débat public, c'est la question de la légalité qui revient à la surface. Et c'est le signe d'une dérive très malsaine de notre système de santé.

Dans tous les pays du monde, les systèmes de santé, en crise, cherchent, changent, expérimentent. Ici, la première chose que l'on demande, c'est invariablement: «Est-ce légal, est-ce que ça respecte la loi? Au lieu de poser les seules questions qui comptent: «Est-ce bon pour les patients? Est-ce que ça améliore la santé des Québécois?»

Cela s'explique par le fait que le Canada, et le Québec qui, à cet égard, n'a rien de distinct, est le seul pays au monde où ce ne sont pas des grands principes, des objectifs collectifs ou des traditions qui définissent les paramètres du système, mais bien une loi, la Loi canadienne sur la santé.

Inévitablement, cela nous amène à aborder les changements structurels en termes légaux, avec des avocats, des juges, et même, dans le cas de l'arrêt Chaoulli, avec la Cour suprême. Ce qui mène aussi à poser les questions en termes de bien et de mal. Et à transposer à la santé des schémas mentaux typiques du raisonnement juridique, notamment la peur des précédents.

C'est avec cette logique du précédent qu'est intervenue Marie-Claude Prémont, une juriste spécialisée en questions de santé, autrefois à McGill et maintenant à l'ENAP. Elle s'inquiète de la mixité, c'est à dire de la coexistence des pratiques privée et publique au sein d'un même endroit, de crainte que cela mène à un traitement inégal pour les patients du public si on donne la priorité aux clients payants.

C'est évidemment une inquiétude légitime. Le développement du privé comporte des avantages pour ceux qui peuvent et veulent y recourir. Il stimule le système, il offre des alternatives. Mais il y a un risque que son développement affaiblisse le régime public et qu'il pénalise sa clientèle. C'est un danger, qu'il faut combattre.

Mais on peut constater que la mixité du privé et du public est acceptée dans tous les pays. Le Canada est le seul pays qui, au lieu de gérer le problème, comme on le fait ailleurs avec succès, a choisi une approche légale, celle de l'interdiction.

Il faut aussi dire que ce n'est pas la première intervention de Mme Prémont, fort populaire dans les médias. Cette juriste est aussi une militante, qui combat avec passion les manifestations du privé en santé. Cela n'enlève rien à sa compétence, mais cela permet de situer ses opinions dans leur contexte, dans un débat où il n'y a pas de vérités révélées.

Ce qui m'amène, pour terminer, à une remarque sur le rôle des universitaires dans le débat public. On a souvent tendance à voir les universitaires comme des juges qui, grâce à leur compétence, sont des analystes objectifs et des arbitres neutres. Les chercheurs, surtout dans les sciences non exactes, ont des convictions, des passions, qu'ils défendent par leurs recherches. Cela n'enlève rien à leur rigueur. Mais les débats universitaires sont extrêmement idéologiques, en économie, en sciences politiques, et particulièrement en santé.