Dans le budget qu'il a présenté hier, le ministre canadien des Finances, Jim Flaherty, nous dit que l'économie canadienne est sur les rails, qu'il réussira à retrouver l'équilibre budgétaire sans augmenter les impôts, et sans toucher aux dépenses importantes, comme la santé ou l'éducation. Peut-on le croire?

Cet exercice budgétaire est très peu crédible. D'abord, pour des raisons politiques. Le gouvernement conservateur est minoritaire et il est fort probable que ce budget sera celui avec lequel il se présentera à l'électorat. Un contexte bien particulier qui justifie une saine méfiance. Ensuite, pour des raisons économiques. Le budget repose sur des hypothèses fragiles, sinon franchement téméraires.

 

Résumons l'architecture de ce cinquième budget conservateur. L'an dernier, M. Flaherty avait annoncé un plan de relance de deux ans, qui prévoyait déjà des dépenses de 19 milliards pour cette année. Le ministre maintient cet engagement, pour ne pas compromettre la reprise. Pour la même raison, il attend à l'an prochain avant de s'attaquer au déficit que la récession a propulsé à des niveaux records: 53,8 milliards pour 2009-2010, et à 49,2 milliards en 2010-2011.

Cette stratégie économique, justifiable dans les circonstances, explique la stratégie politique. Ce budget contient plein de bonnes nouvelles. Les mauvaises nouvelles seront pour plus tard.

Les bonnes nouvelles, c'est surtout la poursuite du Plan d'action économique du Canada, qui a été politiquement rentable pour le gouvernement Harper. Cela amène le ministre à consacrer beaucoup d'espace à rappeler des mesures de relance qui avaient déjà annoncées. Par ailleurs, malgré la situation financière, il n'a pas résisté à la tentation de proposer 900 millions de nouveaux cadeaux, un saupoudrage qui se lit comme un catalogue.

Quant aux mauvaises nouvelles, les efforts pour retrouver l'équilibre budgétaire, elles restent encore vagues et lointaines. La moitié du travail se fera automatiquement, dès l'an prochain, quand le plan de relance sera terminé, ce qui permettra de rabaisser le déficit à 27,6 milliards.

Pour le reste, c'est surtout le gonflement des revenus qui fera le travail. Cela s'explique par le fait que le budget repose sur l'hypothèse que la croissance économique permettra une croissance des revenus de 6% ou 7% par année. Tant et si bien que même si le gouvernement ne faisait rien, le déficit fondrait tout seul à 6,6 milliards en 2014-2015. Il ne lui reste donc pas beaucoup de milliards à trouver pour le ramener à zéro.

Voilà pourquoi les efforts nécessaires pour éliminer le déficit restent relativement modestes. Cinq mesures procureront des économies annuelles de 5,8 milliards d'ici cinq ans, notamment une réduction de la croissance des dépenses militaires, le gel de l'aide internationale, et surtout, un gel des dépenses des ministères, qui rapportera 2 milliards.

Ce scénario rose bonbon suppose bien des choses. Que le déficit actuel n'est pas structurel. Que la crise n'a rien changé. Que l'économie canadienne reviendra rapidement à la normale. Que les taux d'intérêt augmenteront peu. Que la structure des revenus d'Ottawa n'a pas été affectée. Que des tendances lourdes, comme les changements démographiques, épargneront le gouvernement fédéral. Ça fait bien des professions de foi, surtout quand on sait que les prévisions sur cinq ans sont fragiles, et que le budget ne prévoit pas de coussin pour se protéger des erreurs. Voilà ce qui justifie la plus grande méfiance.

En fait, si le gouvernement conservateur n'avait pas présenté de budget cette année, cela n'aurait pas changé grand-chose. Il faut donc voir ce budget comme un exercice politique partisan, qui permet surtout au gouvernement d'annoncer à nouveau des projets populaires et d'y ajouter quelques cadeaux. Et de gagner du temps. Le vrai budget, et les vrais défis, ce sera pour après les élections.