Dans La Presse de mercredi, il y avait une de ces petites histoires d'horreur dont le système de santé a le secret. Paradoxalement, j'y ai trouvé une source de réconfort, parce que ces dérapages montrent qu'il y a certainement moyen d'améliorer les choses et de faire plus avec les ressources considérables que nous injectons.

Tout le monde a applaudi à l'idée de créer des postes d'infirmières-praticiennes spécialisées, qui peuvent exercer des tâches réservées aux médecins, comme la prescription de médicaments, et ainsi désengorger le système. Mais le processus stagne, révélait ma collègue Ariane Lacoursière. Une des raisons, c'est que pour suivre les cours de maîtrise nécessaires, les infirmières ont besoin de bourses. Pour avoir une bourse, elles doivent avoir une promesse d'embauche. Et les hôpitaux ne veulent pas, parce qu'ils n'ont pas d'argent pour créer de nouveaux postes.

Il y a là-dedans un mélange indéfinissable d'impuissance, de fatalisme, de mauvaise volonté, de déresponsabilisation, et certainement d'incompétence bureaucratique. On retrouve quand même assez de fonctionnaires dans les hôpitaux, au ministère, à la RAMQ, dans les agences régionales, pour que quelqu'un, quelque part, ait pu régler ce problème assez simple.

Cette petite paralysie illustre les rigidités du système. D'abord, l'organisation en silos, où les composantes du réseau sont séparées par des cloisons trop étanches. Dans le cas des superinfirmières, qui économisera? La Régie de l'assurance maladie, qui paie les médecins. Et qui paiera? Les hôpitaux, qui devront défrayer le salaire de ces nouveaux professionnels. Et comme on ne se parle pas, ça bloque.

L'impasse s'explique aussi par le mode de financement des hôpitaux. Au Québec, les médecins sont en général rémunérés pour chaque acte qu'ils posent. On dit que l'argent suit le patient. Mais les hôpitaux et les institutions du réseau ne sont pas financés en fonction des services qu'ils procurent, mais plutôt sur une base historique. Un hôpital qui accueille plus de patients ne verra pas son budget augmenté.

C'est un mode d'allocation des ressources qu'il faut absolument repenser. Il faut que, dans les hôpitaux aussi, l'argent suive le patient. On en parle depuis longtemps, et ça ne se fait pas. Le rapport de Claude Castonguay, il y a deux ans, y consacrait un chapitre. Les économistes qui ont récemment conseillé le ministre des Finances revenaient à la charge. Pour favoriser la productivité et la créativité, pour faire davantage avec les ressources disponibles.

J'ai découvert les effets pervers du régime actuel en 1999, quand Pauline Marois, alors ministre de la Santé, a envoyé des cancéreux se faire traiter aux États-Unis, parce que les délais au Québec étaient intolérables. Comment nos voisins ont-ils pu absorber cette clientèle? Pour eux, chaque nouveau patient était une source de revenus. Ils recevaient des millions du Québec, ils pouvaient donc engager le personnel accru et même se payer des équipements. Tandis qu'au Québec, chaque malade qui frappe à la porte d'un hôpital débordé représente une charge additionnelle.

Dans le système actuel, un hôpital qui réussit à augmenter le niveau de ses activités se met dans le trou, parce que ses dépenses vont grimper, et pas ses revenus. Tout change si l'argent suit le patient, car l'amélioration de la productivité est récompensée. On pourrait même imaginer des situations où des hôpitaux voudraient attirer de la clientèle, ce qui est inconcevable dans le système actuel.

Évidemment, c'est compliqué à faire, parce que l'on bouscule des habitudes enracinées depuis des décennies. Cela prendra du temps à mettre en oeuvre. Ça ne fait pas de belles campagnes de publicité, ni de beaux discours à l'Assemblée nationale. Mais dans la vraie vie, les choses ne sont pas toujours simples.