Il y a une mesure du budget Bachand qui, en plus de créer des résistances au Québec, provoque des vagues au Canada, et c'est l'idée d'introduire une franchise, un «ticket orienteur» qui pourrait atteindre 25$ par visite médicale.

Le changement est important sur le plan symbolique, parce que la contribution des citoyens serait liée, du moins en partie, à leur utilisation de services médicaux. Cela risque d'égratigner un des principes de la loi canadienne sur la santé qui, d'un océan à l'autre, revêt le caractère d'un dogme intouchable.

 

Le budget contient deux mécanismes de perception en santé qui restent marginaux, puisqu'ils ne couvriraient que 3,5% des dépenses. Le premier, c'est la contribution santé: 25$ par personne cette année, 100$ l'an prochain, 200$ dans deux ans. Une sorte d'impôt qui rapportera 995 millions de dollars, surtout critiqué pour son caractère régressif.

Le second, la franchise, va plus loin dans la remise en cause du statu quo. Pour l'instant, ce n'est qu'un projet, dont les modalités ne sont pas précisées. Les documents budgétaires présentent, à titre d'illustration, l'une des formules proposées par le rapport Castonguay: une franchise de 25$ par visite médicale, payée dans la déclaration de revenus de l'année suivante, avec une déduction qui exempte les familles à faible revenu et un plafond de 1% du revenu admissible. L'impact serait ainsi limité - par exemple à 275$ pour un revenu de 60 000$ - et la franchise augmenterait avec le revenu. Le tout rapporterait 500 millions en 2013-2014.

Cette franchise soulève plusieurs débats. Le premier est moral. Est-il injuste de faire payer davantage des gens parce qu'ils sont plus malades? À mon avis, non. Le principe d'égalité absolue n'est pas appliqué ailleurs que dans les soins médicaux. Nos choix de vie et le hasard ont un impact sur nos dépenses: les myopes payent leurs lunettes, les dépressifs paient leurs psys, les parents payent pour leurs enfants.

L'enjeu social est plus sérieux. C'est l'accessibilité. Le fait d'avoir à payer pour une visite médicale peut être une barrière pour les gens peu fortunés, et ainsi rendre le système inéquitable. Voilà pourquoi la loi canadienne de la santé interdit les mécanismes de paiement qui feraient obstacle à l'accès. Le projet québécois, quoique imprécis, répond de façon satisfaisante à cette inquiétude. Parce qu'on ne paie pas au moment de la visite, que les plus vulnérables ne paient pas, que la facture est trop faible pour constituer un obstacle. Pour ces raisons, Québec estime qu'il respecte l'esprit de la loi canadienne.

Il y a aussi un enjeu idéologique. Cette loi sur la santé est l'incarnation du modèle canadien, et sa remise en cause sera perçue comme une menace à l'identité canadienne. Pour calmer les esprits, rappelons que ça existe ailleurs. Les Français paient les visites médicales de leur poche, et se font rembourser 70% du total. La visite leur coûte plus de 10$, et jusqu'à 20$ si le médecin réclame plus que le tarif prescrit. Les Suédois paient 14$ pour leur visite au généraliste et 35$ au spécialiste. Deux pays reconnus pour l'équité de leur système de santé où l'on croit que la contribution individuelle est importante.

Reste l'enjeu de l'efficacité, l'amélioration du système. Le gouvernement prend bien soin d'expliquer que ce n'est pas un ticket modérateur, qui viserait à freiner la demande, mais bien d'un ticket orienteur, modulé pour encourager certains comportements, comme éviter les urgences. Est-ce réaliste quand les gens n'ont pas vraiment le choix?

Mais le principal impact de cette franchise, en plus de procurer des revenus, serait d'introduire dans le système un principe de réalité. Il responsabiliserait les citoyens et briserait le mythe voulant que la santé soit gratuite. Ce serait déjà beaucoup.