Marc Ouellet, archevêque de Québec, a réussi le tour de force de se mettre à peu près tout le monde à dos - politiciens de droite comme de gauche, féministes, médecins - en condamnant l'avortement d'une façon particulièrement odieuse.

Marc Ouellet, archevêque de Québec, a réussi le tour de force de se mettre à peu près tout le monde à dos - politiciens de droite comme de gauche, féministes, médecins - en condamnant l'avortement d'une façon particulièrement odieuse.

Ce qui a choqué, ce n'est pas qu'il soit contre l'avortement pour des raisons morales, mais sa condamnation sans appel de celles qui y recourent. Pour justifier son opposition à l'avortement, même dans le cas d'une grossesse provoquée par un viol, Mgr Ouellet s'est demandé pourquoi il faudrait pousser une femme victime d'un crime à en commettre un à son tour. Ce qui revient pas mal à traiter de criminelles les femmes qui recourent à une interruption volontaire de grossesse.

Cette sortie n'est pas un accident de parcours. Elle est le prolongement naturel de la stratégie choisie par le cardinal Ouellet, primat de l'Église canadienne, proche du pape Benoit XVI, qui s'est donné pour but - le terme est de lui -, d'évangéliser le Québec. Et qui a choisi de le faire comme un combattant, comme un militant, plutôt que comme un pasteur prêt à rassembler au-delà des différences, comme le réussissent si bien le cardinal Jean-Claude Turcotte et de nombreux évêques québécois.

Ce côté militant, on l'a vu ce week-end quand il a participé à une manifestation pro-vie devant le Parlement, où il a été chaudement applaudi par tout ce que le Canada compte de «rednecks» et d'évangélistes créationnistes. On l'avait déjà vu à sa façon de condamner la Révolution tranquille, ce qui m'avait amené, dans une autre chronique, à le qualifier de réactionnaire, dans le sens le plus littéral du terme.

Ce militantisme, Mgr Ouellet le pratique de façon abrasive, sans nuances et sans retenue, comme un véritable électron libre, une espèce de «loose cannon» de Dieu. Assez pour mettre sa propre Église dans l'embarras. Je ne peux d'ailleurs pas m'empêcher d'y voir l'influence de la culture de la ville dont il est le pasteur, Québec, qui apprécie les grandes gueules et les sorties intempestives.

Ce qui est fascinant, c'est que sa façon de vouloir brasser la cage, en braquant, ne fait pas avancer d'un poil les principes qu'il veut défendre et nuit à sa propre Église. L'Église catholique n'a plus le poids qu'elle avait, mais elle joue encore un rôle très important, au plan des valeurs, de l'identité, de la solidarité. C'est cette mission qu'il compromet, en marginalisant l'Église catholique et en contribuant à la transformer en secte.

Cela mène à une question qui dépasse Mgr Ouellet. Et c'est pourquoi l'Église catholique manifeste tant d'insistance à se définir à travers des thèmes liés à la sexualité et à la reproduction - avortement, contraception, homosexualité - quand cela l'éloigne d'une grande partie des populations occidentales.

Au premier abord, on pourrait avoir l'impression qu'il s'agit là d'une démarche suicidaire. Mais je propose une interprétation plus cynique. Contrairement à ce que l'on croit, l'Église catholique est en forte croissance. Elle comptait 757 millions de fidèles baptisés en 1978, pour passer à 1,2 milliard, en 2008, 30 ans plus tard. Cette croissance se manifeste essentiellement en Afrique, 33% depuis l'an 2000, en Asie 15,6%, et en Amérique latine. À l'heure actuelle, les deux-tiers des catholiques vivent dans des pays du sud. En 2050, ce sera les trois quarts.

Les prises de position qui affaiblissent l'Église dans des pays comme le nôtre la renforcent dans ce qui sont devenus ses marchés de croissance, les pays en voie de développement, où triomphent toujours les valeurs traditionnelles. Les dures lois de la démographie et du marketing divin contribuent à faire en sorte que les valeurs que défendra l'Église catholique seront de moins en moins celles des sociétés occidentales.