Il suffit que la saison froide commence brutalement, comme cette année, pour voir que pas mal de Québécois n'aiment pas l'hiver. Est-ce seulement la réaction d'enfants gâtés, de naufragés de la modernité qui nient leurs racines et tournent le dos à leur nordicité?

Il suffit que la saison froide commence brutalement, comme cette année, pour voir que pas mal de Québécois n'aiment pas l'hiver. Est-ce seulement la réaction d'enfants gâtés, de naufragés de la modernité qui nient leurs racines et tournent le dos à leur nordicité?

Je crois plutôt que si de nombreux Québécois ne sont pas heureux dans la neige et le froid, contrairement, par exemple, aux Suédois ou aux Norvégiens, ce n'est pas qu'un signe des temps. Il s'agit d'un phénomène beaucoup plus profond, qui tient à notre histoire, à notre géographie, à notre culture. Nous ne sommes pas des nordiques, et nous ne l'avons jamais été.

Notre rapport complexe à l'hiver s'explique d'abord par la nature du peuplement : des colons français provenant de régions tempérées pour qui l'hiver de Nouvelle-France était une force naturelle capable de tuer. L'hiver, dans notre inconscient, est d'abord un ennemi. Bien sûr, les Québécois d'origine française sont là depuis longtemps, mais 400 ans, c'est trop peu pour effacer l'héritage d'une mémoire collective. Les vagues d'immigration qui ont suivi, le plus souvent de pays moins septentrionaux, n'ont rien fait pour améliorer les choses.

Ce refus de l'hiver, on le voit dans l'occupation du territoire. Nous nous entassons au sud du Québec, près de la frontière américaine, ou le long de la vallée du Saint-Laurent, là où l'hiver est moins rigoureux. Par nos choix, nous avons défini comme inhabitable l'essentiel du territoire québécois. La quasi-totalité d'entre nous vit sur une portion du Québec dont la surface n'est pas plus grande que celle de la France.

Notre non-nordicité s'explique d'ailleurs par la géographie. Les zones habitées du Québec ne sont pas très au nord. Elles sont à mi-chemin entre le pôle et l'Équateur. Québec est à la latitude de Paris, Montréal à celle de Lyon et de Milan. Si nos hivers continentaux sont rigoureux, les étés sont assez chauds pour que nous adoptions une bonne partie de l'année une culture méridionale et que nous développions une espèce de double identité. Notre situation géographique n'a rien à voir avec celle des pays scandinaves. Stockholm et Oslo sont plus au nord que Kuujjuaq! Le climat maritime et les restes du Gulf Stream font en sorte que les Suédois et les Norvégiens gèlent moins que nous l'hiver. Mais leur soleil n'est jamais plus chaud que celui du Nunavik.

Ce rapport à l'hiver a été renforcé par la façon dont nos ancêtres ont bâti le Québec. Le peuplement du Québec a été agricole. Presque tous les Québécois francophones sont issus de familles d'agriculteurs. Une société tournée vers l'agriculture, comme l'a longtemps été la société québécoise, n'entretient pas avec l'hiver les mêmes rapports qu'une société nordique tournée vers les activités forestières. Pour un paysan, un hiver dur et long n'est pas une bonne nouvelle. C'est la clémence du climat qui assure l'abondance.

Il y a donc des tendances lourdes et anciennes qui expliquent la tiédeur de nos élans nordiques. Elles ont certainement été renforcées par les phénomènes plus récents. À commencer par le fait que les Québécois voyagent, qu'ils goûtent à autre chose, et qu'ils ne se résignent plus à leur sort, comme le faisaient trop les générations antérieures. L'urbanisation contribue aussi à l'impopularité de l'hiver, parce qu'en ville, on n'a aucun des charmes de l'hiver et tous ses inconvénients, en pire - déneigement, congestion routière, sloche et trottoirs glacés.

Cette réflexion peut sembler théorique, en ce sens que peu importe ce qu'on pense de l'hiver, il ne disparaîtra pas. Mais elle explique peut-être pourquoi, sans le dire tout haut, dans leur for intérieur, bien des Québécois voient le réchauffement climatique comme une bénédiction plutôt qu'un fléau.