Des millions de Canadiens et de Québécois ont regardé le Super Bowl dimanche soir. Souvent pour autre chose que le football. Pour le rituel alimentaire - ailes de poulet et nachos - ou surtout pour les pubs dans lesquelles de grands annonceurs ont investi des fortunes.

Des millions de Canadiens et de Québécois ont regardé le Super Bowl dimanche soir. Souvent pour autre chose que le football. Pour le rituel alimentaire - ailes de poulet et nachos - ou surtout pour les pubs dans lesquelles de grands annonceurs ont investi des fortunes.

C'est un rituel que nous avons été exclus. Même quand ils syntonisaient le réseau Fox, diffuseur officiel du Super Bowl, les Canadiens recevaient le signal de CTV. Au lieu de pubs de GM ou de Budweiser, ils avaient droit à celles du Parti conservateur ! Victimes d'une politique du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, la «substitution de signaux», qui cherche à protéger les revenus publicitaires des chaînes canadiennes. Big Brother veut le bien de nos entreprises. Tant pis pour le village global.

Essayez maintenant de changer le bouquet de chaînes télé auxquelles vous êtres abonnés avec le câble ou le satellite. Vous ne pourrez pas choisir ce que vous voulez. Au moins la moitié des chaînes sélectionnées doivent être canadiennes. Une autre règle du CRTC. Big Brother protège le contenu canadien. Et tant pis pour la liberté d'expression. Imaginons les réactions si, dans un dépanneur, on refusait de vous vendre cinq magazines parce que trois d'entre eux sont français ou américains.

C'est dans ce contexte qu'il faut regarder la décision très controversée du CRTC, qui a interdit la semaine dernière aux petits fournisseurs d'internet de proposer des forfaits illimités, et leur impose, à la demande des grandes entreprises de télécommunications, une tarification à l'utilisation. Les consommateurs ont mal réagi, le gouvernement Harper aussi, ce qui a forcé l'organisme à reporter sa décision de deux mois.

La logique est la même. Cet organisme omnipuissant, dont les objectifs sont louables - contenu canadien, propriété canadienne -, en tentant de réglementer un secteur devenu difficile à contrôler, prend des décisions en décalage avec la réalité et fait du Canada une planète à part.

La décision sur la tarification de l'internet semble reposer sur un principe logique : faire payer les gens pour le volume de données qu'ils consomment sur l'internet, comme c'est le cas pour l'épicerie ou le chauffage. En interdisant les forfaits illimités, Big Brother ferait respecter les lois du marché et empêcherait une surutilisation qui engorgerait le réseau. Cette logique ne tient pas, pour trois raisons.

Premièrement, les lois du marché jouent à sens unique au Canada, où les consommateurs sont victimes d'une surfacturation abusive. Selon l'OCDE, le Canada est le quatrième pays le plus cher au monde pour la haute vitesse. Le Beckman Center, de Harvard, nous classe au 23e rang.

Deuxièmement, le débat est mal posé parce que la pratique imposée par le CRTC ne mène pas à une vraie facturation à l'utilisation, mais plutôt à des forfaits avec des plafonds, ce qui fait que, le plus souvent, les consommateurs paient pour une quantité qu'ils n'utilisent pas.

Troisièmement, et c'est le plus étonnant, le modèle de tarification imposé par le CRTC n'existe nulle part ailleurs sur la planète! Les forfaits illimités sont la norme. Dans 17 des 30 pays analysés par l'OCDE, notamment les États-Unis, la France, le Japon ou l'Allemagne, il n'y a pas de plafond. Dans huit autres, les fournisseurs qui les proposent sont très minoritaires. C'est la pratique dominante dans trois pays, la Belgique, la Nouvelle-Zélande et l'Islande. Et c'est obligatoire seulement en Australie et au Canada. Mais le Canada se distingue aussi parce qu'il impose des frais salés à ceux qui dépassent ces plafonds, quatre ou cinq fois plus élevés qu'ailleurs.

Au nom du bien commun, notre Big Brother a créé un monde où il y a beaucoup de complaisance et pas beaucoup de concurrence. Et nous nous faisons avoir.