Le moment où le premier ministre quitte le gouverneur général, après lui avoir annoncé formellement la dissolution de la Chambre des communes, marque le début formel de la campagne électorale. En principe, ce moment devrait être empreint d'une certaine solennité.

Le moment où le premier ministre quitte le gouverneur général, après lui avoir annoncé formellement la dissolution de la Chambre des communes, marque le début formel de la campagne électorale. En principe, ce moment devrait être empreint d'une certaine solennité.

Pas pour Stephen Harper. Dès ses premières phrases, il était sur le mode de l'attaque partisane grossière, en ressortant le spectre d'une coalition entre libéraux, néodémocrates et bloquistes. «Le 2 mai, nous ferons un choix entre un gouvernement national stable et une coalition broche à foin.»

Ce n'est qu'un incident. Mais il nous dit bien des choses sur ce qui nous attend dans les 36 jours qui restent dans cette campagne électorale. D'abord qu'on est aussi bien d'attacher nos tuques, parce que ça va voler bas, très bas. Ensuite, que dans cette atmosphère de bataille de rue, le déséquilibre des forces en présence est palpable.

Les conservateurs jouent dur, et ils le font bien. Leurs récentes attaques personnelles contre Michael Ignatieff ont porté. Et M. Harper semble avoir réussi son coup en relançant avec aplomb cette idée de coalition. Il faut beaucoup de talent pour être si convaincant avec une accusation qui résiste aussi peu à l'analyse.

Par contre, le chef libéral n'a pas brillé dans cette première escarmouche de la campagne. Évidemment, ce n'est qu'un incident, et il y en aura bien d'autres d'ici le 2 mai. Mais si M. Ignatieff les gère comme il vient de gérer celui-ci, il court tout droit à la catastrophe.

Vendredi, juste après le vote de défiance qui a renversé les conservateurs, M. Ignatieff semblait désarçonné quand il a été interrogé sur la coalition. Il a été incapable de dire clairement qu'il n'avait absolument pas l'intention d'en former une, ce qui a donné encore plus de munitions aux conservateurs. Ce n'est que le samedi matin qu'il a finalement déclaré: «J'exclus de façon formelle une coalition.» Mais le mal était fait. Ses hésitations confirmeront les doutes plantés par le premier ministre, qui parle maintenant d'agenda caché.

Mais comment M. Ignatieff a-t-il pu être surpris par cette attaque, quand les conservateurs martelaient le thème de la coalition en Chambre depuis des jours? Gilles Duceppe, lui, était prêt. Vendredi, il avait déjà en main la copie d'une lettre signée par Stephen Harper en 2004 qui montrait que celui-ci avait déjà flirté avec l'idée quand Paul Martin était au pouvoir. Cette parade du chef bloquiste a d'ailleurs réussi à mettre le premier ministre sur la défensive.

Et pourtant, M. Ignatieff disposait d'une foule d'arguments. À commencer par le fait que c'est justement lui qui a tué le projet de coalition initié par son prédécesseur Stéphane Dion. Ou encore qu'en deux ans comme chef de l'opposition, il n'a manifestement pas tenté de remplacer le gouvernement Harper en s'associant aux NPD et au Bloc. Ou aussi qu'il y a une grande différence entre une coalition comme celle que les trois partis ont voulu former en 2008, pour dénouer une crise parlementaire, et une coalition, beaucoup moins acceptable, qui prendrait les électeurs par surprise au lendemain d'une élection.

Cet incident prend d'autant plus de relief qu'une des inconnues de cette campagne électorale porte sur ce que sera la performance de Michael Ignatieff. Les conservateurs partent gagnants. Leur avance est telle, 39% contre 25% pour les libéraux, selon notre sondage Angus Reid, qu'ils s'approchent d'une majorité. La seule chance pour les libéraux d'inverser cette tendance, c'est que M. Ignatieff se révèle sous un autre jour, qu'il soit plus efficace en campagne électorale qu'il ne l'a été comme chef de l'opposition. Disons que c'est mal parti.