La promesse du premier ministre Harper de fournir une aide financière à Terre-Neuve pour son projet hydroélectrique du Bas-Churchill a suscité de prévisibles réactions enflammées au Québec.

À la recherche d'un camouflet mobilisateur, le chef bloquiste Gilles Duceppe s'est indigné qu'on veuille «financer un concurrent d'Hydro-Québec avec notre propre argent». Le premier ministre Jean Charest est sorti de la réserve qu'il s'était imposée dans cette campagne pour dénoncer l'engagement conservateur. Il l'a fait avec plus de retenue.

Il faut en effet se calmer, parce que ce cadeau à Terre-Neuve ne pénalise pas le Québec, il ne le menace pas, il n'introduit pas vraiment de concurrence déloyale. Il ne sera même pas inéquitable pour le Québec si les conservateurs vont au bout de leur promesse. Le problème, ce n'est pas que le Québec soit victime d'une injustice, mais plutôt qu'il s'agit d'une promesse purement électorale déguisée en programme énergétique et environnemental.

Il est clair comme de l'eau de roche que les conservateurs, qui ne détiennent aucun des sept sièges de Terre-Neuve-et-Labrador, veulent aller chercher des voix dans cette province. En appuyant le projet du Bas-Churchill, ils pèsent sur le bon «piton».

La façon dont les conservateurs semblent vouloir aider le projet, une garantie sur un emprunt de 4 milliards, n'impliquerait pas de déboursés. Cela aiderait toutefois Terre-Neuve à réduire ses coûts d'emprunt.

L'impact pour le Québec est nul. Les 500 mégawatts que l'on veut faire transiter par un câble sous-marin combleront d'abord les besoins de Terre-Neuve, et ensuite ceux de la Nouvelle-Écosse. Ce qui resterait pour les exportations aux États-Unis est trop faible pour avoir un impact sur les marchés et exercer une concurrence déloyale.

Au premier abord, la promesse soulève toutefois un problème d'équité. Pourquoi subventionner l'électricité de Terre-Neuve et pas celle du Québec? La réponse est simple. Le Québec ne l'a jamais demandé et ne l'a jamais souhaité, craignant comme la peste que le fédéral fasse intrusion dans la production et le transport d'électricité.

En outre, les conservateurs promettent que cette politique «reposera sur les principes que sont le respect et le traitement équitable de toutes les régions du pays». Le Québec, en principe, pourrait donc avoir sa part. Et quand on voit comment l'équité s'est manifestée dans le cas des compensations pour la TPS, on peut être prudents.

Le véritable enjeu est plutôt de nature politique. Le programme annoncé cette semaine est vague. «Nous nous pencherons avec intérêt sur les projets d'énergie propre qui auront du mérite sur le plan économique, une importance régionale ou nationale et guideront les régions à remplacer les combustibles fossiles par des sources de carburants renouvelables.» Cette imprécision ouvre la porte à l'arbitraire. Quels types de projets seraient acceptables, les futures centrales, les lignes, les éoliennes?

Ensuite, cette présence du gouvernement fédéral dans le domaine de l'hydroélectricité constitue un précédent qui change les règles du jeu. Non seulement les ressources naturelles sont-elles de ressort provincial, mais le fédéral ne respecte pas l'esprit du marché de l'électricité nord-américain qui fonctionne bien sans subventions.

Le projet de Muskrat, qui coûtera six milliards, dont plus de la moitié pour des lignes sous-marines, ne sera pas économique. L'énergie produite coûtera deux fois plus que celle de La Romaine, au Québec. Si on comprend le désir de Terre-Neuve d'avoir accès à une source d'électricité renouvelable, on voit mal comment il sera possible de vendre cette énergie aux États-Unis autrement qu'à perte, et ce n'est certainement pas la meilleure façon d'alimenter la Nouvelle-Écosse. Ce serait moins cher à partir du Québec.

Cette promesse conservatrice est bâclée et sans cohérence. Elle flatte sans doute l'ego collectif terre-neuvien, mais elle n'est pas intelligente, ni sur le plan environnemental, ni sur le plan énergétique.