Le chef libéral Michael Ignatieff a renoué avec une tradition de son parti en rendant publique, ce week-end, une plate-forme électorale qui est une nouvelle mouture du livre rouge, rappelant celui que Jean Chrétien a dévoilé en 1993 tant par la couleur de sa couverture que par sa philosophie.

Il est intéressant de noter que cette nouvelle version du livre rouge a été assez bien accueillie, y compris dans des milieux qui ne sont pas, a priori, proches du Parti libéral. Il a par exemple obtenu des commentaires éditoriaux assez positifs dans Le Devoir ou The Globe and Mail.

Le chef libéral serait-il en train d'opérer un revirement miraculeux? On n'en est pas là. Mais le simple fait qu'un document aussi typiquement libéral ne suscite pas de réactions épidermiques semble suggérer que le purgatoire de ce parti tire peut-être à sa fin.

Cela montre aussi que le PLC a encore quelque chose à apporter au débat public.Tout d'abord, en offrant un véritable choix aux électeurs. En gros, la stratégie libérale consiste à éliminer une baisse de taxes pour les entreprises et de se servir de l'argent pour financer 7 milliards d'initiatives surtout sociales - aide aux étudiants, aux retraités, aux soins à domicile. Les libéraux de Michael Ignatieff se positionnent donc au centre gauche, ce qui réduit l'espace du NPD et surtout, ce qui les distingue clairement des conservateurs.

Ensuite, les libéraux ont une façon à eux d'aborder les enjeux. Le livre rouge repose sur une vision, sur de grands principes, comme l'égalité des chances, sur une conception du développement économique reposant sur l'apprentissage et l'innovation. Le contraste est saisissant avec l'approche conservatrice qui repose sur quelques mots clés - par exemple la sécurité, les baisses d'impôt - des mesures très pointues, et surtout pas de grands discours. On pourra accuser les libéraux d'être verbeux, mais on peut aussi aimer que les idées soient exprimées de façon claire et nette.

Ce retour aux sources libérales joue sans doute aussi sur la nostalgie, du moins pour tous ceux - et ils sont clairement une majorité au Canada - qui ne sont pas à l'aise avec la démarche conservatrice et qui regrettent une certaine grandeur passée du Canada. La plate-forme parle de valeurs, du rôle international du Canada, d'environnement.

Il y a un envers à la médaille. Si la plate-forme est généreuse, son montage financier est fragile. Au départ, ce n'était pas une bonne idée de ramener le taux d'imposition du profit des sociétés à son niveau antérieur. Il n'est pas évident que les revenus escomptés seront au rendez-vous. Il n'est pas prudent de consacrer toute cette marge de manoeuvre à de nouvelles initiatives, un mauvais message quand le Canada est encore en crise budgétaire.

Le danger des visions, c'est également la grandiloquence, le côté tarte aux pommes de cette plate-forme, parlons de tarte aux fraises étant donné la couleur du document. Trop de stratégies nationales, trop de principes nobles comme réduire la pauvreté, améliorer les services en santé et mieux en contrôler les coûts.

Évidemment, comme pour toute équipe libérale qui se respecte, plusieurs promesses de nature sociale portent sur des domaines de juridiction provinciale, quoique la plate-forme prend bien soin de le faire d'une façon qui ne semble pas se substituer au rôle des provinces.

Il y a cependant loin de la coupe aux lèvres. Pour que ce livre rouge mène à un succès électoral, il faudra d'abord que Michael Ignatieff puisse s'imposer à l'électorat. Mais il y a un défi encore plus important pour les libéraux. Le Canada a changé. Et il faut se demander si la conception du pays, de la société, de l'intervention publique que proposent les libéraux incarne encore le consensus canadien.