Tout au long la campagne électorale fédérale, la principale préoccupation des Québécois, et ce qui a le plus contribué à arrêter leur choix, c'était d'empêcher les conservateurs de former un gouvernement majoritaire. Et maintenant que l'impensable s'est produit, ils n'en parlent à peu près pas.

Tout au long la campagne électorale fédérale, la principale préoccupation des Québécois, et ce qui a le plus contribué à arrêter leur choix, c'était d'empêcher les conservateurs de former un gouvernement majoritaire. Et maintenant que l'impensable s'est produit, ils n'en parlent à peu près pas.

Les commentaires, les nouvelles, les discussions, les lignes ouvertes portent essentiellement sur la débâcle du Bloc québécois et la montée fulgurante du NPD au Québec. Ces deux événements spectaculaires méritent évidemment d'être scrutés. Mais n'oublions pas que cette élection servait d'abord à choisir qui dirigera ce pays. Le fait qu'un gouvernement véritablement de droite soit majoritaire est tout aussi historique, et aura pas mal plus d'impact sur nos vies que de savoir qui posera des questions indignées en Chambre.

Il y a là-dedans une façon très bloquiste de voir les choses. On n'analyse l'élection fédérale qu'à travers le prisme québécois, on se demande qui défendra le mieux les intérêts du Québec, et on semble croire que le but premier d'un processus électoral est de choisir l'opposition.

La question centrale que soulèvent les résultats de cette élection, c'est comment nous serons gouvernés maintenant que les conservateurs de Stephen Harper sont bien installés pour quatre ans, et plus vraisemblablement pour un bon huit ans, quand on voit l'état de l'opposition.

Deux scénarios s'affrontent. Celui du pire, où les conservateurs, maintenant majoritaires, sortiront de leurs cartons leur agenda réactionnaire. Et le scénario optimiste, selon lequel le désir des conservateurs de rester longtemps au pouvoir et de déloger à tout jamais les libéraux comme le «natural governing party», les amènera plutôt à se recentrer. Je penche plutôt pour cette seconde hypothèse.

D'une part, les trois dernières années ne nous ont peut-être pas donné une image juste de ce que serait un vrai gouvernement Harper. Une situation minoritaire exacerbe les calculs partisans et mène le gouvernement à contourner le plus possible un parlement qui peut le renverser. Les inévitables concessions à l'opposition forçaient les conservateurs à surcompenser avec de malheureux coups de barre à droite pour rassurer leur base électorale. Ce ne sera plus nécessaire.

D'autre part, si les conservateurs ont obtenu une majorité, c'est parce qu'ils ont réussi à faire des gains en Ontario, surtout dans la grande région de Toronto. La moitié des députés sont maintenant ontariens. À peine plus du tiers proviennent des Prairies. Cela affectera la dynamique du parti, l'éloignera de ses racines réformistes et affaiblira progressivement le poids de l'électorat rural de l'Ouest.

En toute logique, Stephen Harper, un stratège, voudra poursuivre un processus de recentrage pour s'éloigner du conservatisme social de ses origines et de miser davantage sur le conservatisme fiscal s'il veut déloger durablement les libéraux comme «natural governing party».

Plusieurs indices montrent d'ailleurs que M. Harper ne nous réserve pas de grosses surprises. L'expérience du passé nous a montré qu'il est plus du genre «what you see is what you get». S'il est très clair sur son intention de maintenir la ligne dure sur la criminalité, il refuse d'ouvrir des dossiers explosifs comme l'avortement ou la peine de mort. Il s'engage également à présenter à peu près tel quel le budget qu'il avait déposé en mars.

Un recentrage du gouvernement conservateur n'annonce pas pour autant le statu quo. On sent chez M. Harper une volonté de transformer le Canada, de réduire le poids du gouvernement central, de remettre en cause des réflexes, des valeurs, des institutions qui sont le produit d'une idéologie qui a dominé le Canada pendant des décennies, une idéologie libérale, mais qui est tout autant celle des bloquistes et des néo-démocrates. Le véritable changement sera là.