La Presse publiait, vendredi dernier, son palmarès annuel des urgences. On y apprenait que le temps d'attente n'a pas fait de progrès depuis un an, avec une moyenne, horrible, de 17 heures 36 minutes. Pour la sixième année de suite, on est loin d'atteindre la cible fixée à 12 heures.

Ce palmarès nous apprend quelque chose d'autre. Et c'est que la région montréalaise est dans un monde à part. Pour les hôpitaux universitaires, les établissements qui obtiennent des bonnes notes - des «A» ou des «B» - sont tous, sans exception, en Estrie, au Saguenay et, surtout, à Québec.

À l'inverse, les hôpitaux montréalais sont tous, sans exception, médiocres ou encore dans le peloton de queue. L'Hôpital général, le Sacré-Coeur, l'Hôpital général juif ont des «C», Maisonneuve-Rosemont, l'Hôtel-Dieu, Saint-Luc et le Royal Victoria ont des «D», Notre-Dame un «E». Même chose pour les plus petits établissements, la Cité-de-la-Santé de Laval obtient un «C», comme Verdun ou Anna-Laberge, Jean-Talon et Lakeshore des «D».

Pourquoi cet écart? Pourquoi un habitant de Chicoutimi attend 11 heures, un Sherbrookois, en gros, de 12 à 15 heures, un Québécois, de 12 à 16 heures, et un Montréalais entre 17 et 25? Quand on sait que ces temps d'attente sont un symptôme d'un problème plus généralisé.

Est-ce qu'on peut expliquer cela par une mauvaise gestion? Cela défierait les lois de la probabilité. Par quel étrange hasard le talent organisationnel se retrouverait partout à Québec et en région, tandis qu'à Montréal, on n'aurait trouvé personne à l'agence de santé, dans les hôpitaux tant anglophones que francophones, pour faire aussi bien qu'à Chicoutimi.

Je n'y crois pas une seconde. Ce qui m'amène à une autre conclusion. Et c'est que les dés sont pipés contre Montréal. La répartition des ressources, financières et humaines, tout comme le système d'organisation du réseau ne tiennent pas compte des besoins et des réalités de la métropole.

Je le dis d'une façon impressionniste. Je n'ai pas de chiffres, ni d'analyse statistique. Mais je sais qu'il y a quelque chose qui cloche. Il suffit d'avoir vécu dans nos deux grandes villes pour voir la différence. Si vous êtes malade, si vous voulez voir un spécialiste, si vous avez besoin d'une intervention élective, arrangez-vous pour être à Québec. Ça va vite aux urgences, on attend peu aux cliniques sans rendez-vous, les délais sont plus courts.

À quoi est-ce dû? Il y a quand même des ressources considérables à Montréal, des hôpitaux, des médecins. Mais les pressions exercées sur les ressources de la ville sont énormes, en raison de la mission des établissements, des besoins de la grande région métropolitaine, de la nature d'une grande ville, dont la population est plus hétérogène, plus pauvre, où les problèmes sociaux sont plus fréquents, l'isolement des personnes âgées plus grand. Il faut tenir compte aussi de la complexité même du réseau de santé dans une grande ville qui pose des défis organisationnels particuliers.

Cette spécificité d'une très grande ville, la seule du Québec, n'est certainement pas suffisamment prise en compte par un appareil gouvernemental qui conçoit des modèles pour l'ensemble du territoire québécois.

Derrière tout cela, il y a un problème plus profond, et c'est la culture du régionalisme, tant de la part de nos politiciens que de l'appareil d'État, qui se manifeste autant en santé que lorsqu'il s'agit de revoir la carte électorale. À force de se soucier des régions, on finit par sacrifier Montréal. Mais il faudrait aussi que les Montréalais surmontent leur pudeur et réclament ce à quoi ils ont droit.