Un organisme qui milite contre l'obésité, la Coalition québécoise sur la problématique de l'obésité, a demandé au premier ministre Charest, dans une lettre qu'elle lui faisait parvenir la semaine dernière, d'imposer une taxe sur les boissons gazeuses et les boissons énergisantes.

L'idée de taxer les boissons gazeuses est certainement attrayante. Elle semble simple et logique. Il y a clairement une augmentation de l'obésité, surtout chez les jeunes. La consommation de boissons gazeuses a explosé depuis un quart de siècle, et constitue certainement une des sources significatives des calories en trop qu'absorbent les jeunes. Il s'agit donc de dissuader la consommation de ces produits par la taxation.

Mais dans la vraie vie, les choses sont compliquées. C'est l'objet de cette chronique. Il faut se méfier des solutions simples. Ça donne rarement de bonnes politiques.

Le premier élément de complexité est de nature philosophique. Jusqu'où une société peut-elle dicter des conduites aux citoyens, par l'interdiction ou la taxation? Jusqu'où faut-il protéger les gens contre eux-mêmes, au lieu de les laisser faire leurs choix?

Toutefois, dans le cas de l'obésité, l'intervention publique se défend bien, parce que c'est la société dans son ensemble, notamment à travers le système de santé, qui en paiera les coûts. En outre, la société a une responsabilité collective à l'égard des jeunes, particulièrement frappés par l'épidémie d'obésité.

Le second élément de complexité, c'est la cible. Les boissons gazeuses ne sont pas la seule cause d'obésité, loin de là. Pourquoi ne pas taxer les frites? Mais pas le thé glacé sucré, ou les jus, qui contiennent autant de calories? Pourquoi taxer toutes les boissons gazeuses, comme le propose cette Coalition poids, y compris les boissons «light» qui contiennent peu ou pas de calories? En France, une mesure proposée par le gouvernement Fillon épargne les sodas sans sucre.

En toute logique, en déplaçant la consommation vers ces boissons sans sucre, on réduirait significativement le nombre de calories ingérées. Ce serait efficace. Mais on ne changerait pas les habitudes alimentaires et on encouragerait d'autres boissons associées à la malbouffe. Cette coalition, qui regroupe des organismes de santé publique et des médecins, semble ainsi plus attachée à la défense de grands principes qu'à l'obtention de résultats tangibles. Cela semble mettre en relief le fait que les campagnes de santé publique ont souvent un caractère plus militant que scientifique.

La troisième forme de complexité porte sur la méthode. La fiscalité est un outil au maniement difficile. On l'a vu quand la taxation de la cigarette a encouragé la contrebande. Dans le cas des boissons gazeuses, la taxe n'aura d'effet que si elle est assez élevée pour avoir un effet dissuasif. Et si elle est élevée, elle risque d'être régressive, c'est-à-dire de pénaliser davantage les pauvres, et même de pousser ceux-ci vers des produits encore plus nocifs.

Le taux de la taxe est donc crucial. Mais l'exemple donné par la Coalition poids est risible, une taxe d'un cent le litre, un tiers de cent la cannette. Et le modèle auquel elle fait référence, celui de la Hongrie, n'est guère mieux, avec une taxe de 3,5 cents le litre. L'effet serait nul. Aucun impact sur la consommation. Au mieux, un moyen compliqué de ramasser quelques sous, sept ou huit millions.

Pourquoi écrire au premier ministre Charest pour proposer une mesure qui ne donnerait rien? Il faut probablement voir cette proposition comme une stratégie de communication, plutôt qu'une politique de santé publique. Cela reflète la nature de nos débats publics, qui se font par lobbies interposés, où il faut trouver des façons de se distinguer et de percer le mur médiatique.