Ce n'est pas tant l'idée d'évaluer les enseignants et de tenir compte de leur performance dans leur rémunération qui pose problème. C'est plutôt le climat de chasse aux sorcières dans lequel ce débat se déroule.

Une société comme la nôtre, dont le système d'éducation est bon, mais qui pourrait être amélioré, notamment en ce qui a trait au décrochage scolaire, et qui découvre tardivement à quel point l'éducation est cruciale pour son développement, doit explorer toutes les pistes qui pourraient améliorer son système.

C'est la Coalition pour l'avenir du Québec qui a lancé ce débat au printemps dernier. François Legault proposait une hausse du salaire des enseignants, toutefois assortie d'un processus d'évaluation et d'une modification de règles de sécurité d'emploi. Une enquête fouillée de La Presse, la semaine dernière, a montré la complexité de tels changements. Et un sondage de l'Institut économique de Montréal en a involontairement illustré les écueils.

Dans ce sondage, 67% des répondants se sont dits d'accord avec l'idée de mieux payer les meilleurs enseignants. Et 87% d'entre eux souhaitaient que les directions d'école puissent congédier les mauvais enseignants. Cet enthousiasme, aux élans populistes, est suspect. Il reflète probablement un ras-le-bol envers l'État, les employés du public, les grands syndicats. Dans ce climat de lynchage, les enseignants sont de commodes boucs émissaires des ratés d'un système éducatif qui s'explique aussi par la trop faible implication des parents et par notre indifférence collective.

Pourtant, l'idée d'évaluer la qualité du travail des gens et de tenir compte de cette qualité pour leur rémunération n'a rien de sulfureux. C'est comme ça que ça se passe dans la plupart des activités professionnelles. C'est plutôt la façon dont fonctionne l'éducation qui est une anomalie.

Le mode de rémunération des enseignants, qui se retrouve surtout dans le secteur public et dans certaines grandes entreprises syndiquées, repose sur le principe voulant que tous les travailleurs ont les mêmes aptitudes, et donc, que leur rémunération doive être similaire, et ne dépendre que de l'ancienneté et de la scolarité. Le corporatisme syndical rend en outre les congédiements virtuellement impossibles. Cette culture est tellement enracinée qu'on a tendance à voir cela comme la norme.

Un retour à des valeurs plus universelles se défendrait encore davantage en éducation, en raison de l'importance de la tâche confiée aux enseignants, au fait que les bénéficiaires de leur activité constituent une clientèle captive et vulnérable, des enfants qui ne choisissent pas leur professeur, qui peuvent difficilement se plaindre. L'enseignant est dans une situation de pouvoir et de monopole qui, en toute logique, devrait justifier l'existence de contrepoids.

On devrait pouvoir dire cela sans arrière-pensées vengeresses. Le métier d'enseignant est essentiel. C'est une tâche difficile. Il ne faut pas stigmatiser les enseignants, ni les punir, mais les valoriser et trouver des façons de les motiver et de les stimuler tout au long de leur carrière.

Dans la vraie vie, les ressources intérieures, comme la passion ou le sens du devoir, ne suffisent généralement pas à soutenir chez les gens un désir de dépassement. Une foule d'éléments extérieurs contribuent à servir d'aiguillon, par exemple la peur de perdre son emploi ou de voir son entreprise s'affaiblir, omniprésente dans le secteur privé, la concurrence qui nous force à faire mieux, la récompense. Aucune de ces trois sources de dynamisme n'existe dans le monde de l'enseignement.

Il n'est évidemment pas simple d'évaluer les enseignants, encore moins de déterminer des modes de récompense, car le succès d'un enseignant dépendra d'une foule de facteurs socio-économiques qui échappent à son contrôle. Mais ce n'est pas parce qu'une idée est complexe, ou qu'elle bouscule la culture dominante, qu'il faut la mettre de côté.