Le débat linguistique, émotif au Québec, épouse souvent les contours de la question nationale. Les souverainistes ont en général tendance à exprimer plus d'inquiétude sur l'avenir du français. Mais le droit à l'émotion a des limites.

Depuis son arrivée à la tête du PQ, Pauline Marois a donné une tournure un peu hystérique au débat linguistique. On l'a encore vu depuis le week-end avec les réactions aux données démo-linguistiques publiées par l'Office québécois de la langue française. On s'est indignés et inquiétés, en ne retenant, dans la masse énorme d'informations - six documents, 682 pages de données et de tableaux touffus - que deux chiffres: 47 et 51.

Ainsi, 47%, c'est la proportion des francophones dans l'île de Montréal en 2031. Une évidence arithmétique que nous connaissions déjà. Les Québécois de souche, faute de bébés, comptent sur l'immigration pour assurer leur croissance démographique. Il est alors inévitable que la proportion des immigrants dans la population totale augmente, encore plus à Montréal où ils se concentrent. D'ici 2031, elle sera passée de 20,6 à 29,5% dans l'île, tandis que celle des francophones baissera, de 54,2% à 47,4%.

Ces chiffres ne parlent pas d'anglicisation, comme le laisse entendre le porte-parole du PQ en matière de langue, Yves-François Blanchet. Au contraire, le poids des anglophones est lui aussi en baisse, de 25,2% à 23%, assez pour passer au troisième rang.

Le chiffre frappe surtout à cause de son caractère symbolique. En passant sous la barre des 50%, les Québécois deviennent minoritaires, à condition, bien sûr, d'isoler l'île de Montréal de la région montréalaise, très majoritairement francophone, et à condition de mettre dans le même panier les anglophones et les allophones.

L'exercice est en outre dangereux, parce qu'il mène inéluctablement à la présentation des immigrants comme une menace, ce qui explique sans doute la prudence et le sens de la nuance des deux leaders de Québec solidaire, Françoise David et Amir Khadir.

Le poids accru des allophones, en soi, n'est pas une menace. Tout dépendra de leurs choix linguistiques. La réponse, au premier abord, n'apparaît pas rassurante. De 1996 à 2006, les immigrants qui ont fait un transfert linguistique ont choisi le français dans une proportion de 51%. L'autre chiffre magique qui a provoqué des réactions enflammées. «Quand on apprend que 50% seulement des nouveaux arrivants adoptent le français, on est loin du 80% qu'on représente», a dit le président du PQ, Raymond Archambault. À 50%, on est perdant. Ça, c'est dramatique.» Un thème que le député Blanchet a repris hier.

Ce chiffre ne décrit pas le choix des nouveaux arrivants, mais plutôt celui de tous ceux qui ont abandonné leur langue maternelle dans la décennie, parfois une ou deux générations après leur arrivée, au bout d'un processus amorcé il y a longtemps, comme les Grecs qui sont allés à l'école anglaise.

La réalité est plus complexe, quand on distingue les cohortes d'immigrants. Ceux qui sont arrivés avant 1975 n'ont choisi le français que dans une proportion de 37% - la catastrophe des générations perdues. Après? Le passage au français atteint 69% pour ceux qui sont arrivés entre 1976 et 1985, 70% entre 1986 et 1995 et 75% pour 1996-2006. Il y a eu un revirement de tendance significatif, à cause de la loi 101, de l'école française, de la composition de l'immigration. C'est une injure à l'intelligence de ne pas en tenir compte.

Est-ce que tout est réglé? Non. Il reste beaucoup à faire. Mais cette réflexion adulte n'aura pas lieu, parce que, dans ce dossier, le calcul politique l'emporte, et la tentation est forte de jouer, avec la langue, une dernière carte, celle de la peur. Comme le fait Gérald Larose, qui n'exclut pas un effondrement du français d'ici 20 ans.