«Il faut mettre les bandits en prison», ont clamé à l'unisson les ministres du gouvernement Charest lorsqu'ils ont commenté les nouvelles révélations sur la collusion et la corruption dans l'industrie de la construction. Ce n'est pas la réponse qu'on attendait.

Dans le monde décrit dans un rapport secret de Jacques Duchesneau, le dirigeant de l'Unité anticollusion, qui a fait l'objet d'une fuite cette semaine, il n'y a pas que des criminels. Il y a aussi des amis, des beaux-frères, des associés, des clients, des syndicalistes musclés, des fonctionnaires ineptes, des ingénieurs-conseils gourmands. Il y a de la corruption, mais aussi de l'incompétence, de la complaisance, de la peur, de la paresse, de l'inertie. C'est tout cela qui constitue le système qu'il faut casser. La voie policière et judiciaire ne s'attaque qu'à une partie du mal.

Que faut-il donc de plus? Une enquête publique, diront les Québécois. Ils ont raison: la tenue d'une telle enquête est plus que souhaitable. Cependant, si le fait d'insister là-dessus peut permettre aux adversaires du premier ministre Charest de marquer des points, ça ne réglera pas les problèmes extrêmement sérieux que met en relief ce rapport, puisqu'on sait que le gouvernement libéral ne veut pas de commission.

En outre, une enquête publique, c'est long, ça prend des années. Et il y a des gestes urgents à poser. Le rapport de M. Duchesneau propose des mesures très concrètes pour faire le nettoyage, qu'on peut mettre en oeuvre dès maintenant. Et c'est là qu'on doit exiger une réponse forte du gouvernement.

Même s'il a refusé une enquête publique, le gouvernement Charest a néanmoins posé des gestes concrets. L'escouade Marteau pour s'attaquer aux comportements criminels. L'unité de M. Duchesneau qui, comme le montre ce rapport, fait des progrès. La nomination de l'ex-ministre Diane Lemieux à la tête de la Commission de la construction du Québec pour discipliner cette industrie, et bientôt l'élimination du placement syndical.

Mais il y a des ratés, on l'a vu cette semaine avec l'incroyable saga des membres de l'Unité anticollusion qui ne réussissent pas à être admis dans la fonction publique, ou encore le fait que des entrepreneurs croches continuent à décrocher des contrats publics. Cela semble indiquer un manque de détermination et de constance.

En soi, ce rapport secret, un peu brouillon, ne nous apprend pas grand-chose de plus sur les activités criminelles dans la construction, quoiqu'il contribue à confirmer les pires soupçons. La partie la plus intéressante de ce document, qui se concentre sur le ministère des Transports, c'est plutôt de démontrer la mécanique, de décrire en détail les pratiques qui ont perverti les processus d'octroi de contrats et permis les abus. Une véritable histoire d'horreur.

Le rapport se termine sur 45 recommandations, qui ne portent pas sur la chasse aux bandits, mais sur les pratiques du Ministère, l'encadrement du génie-conseil, la surveillance, l'éthique et la gouvernance, et des choses aussi concrètes que le prix des lampadaires et de l'asphalte. Des recommandations qui soulignent l'incroyable ineptie du ministère des Transports, qui ne s'explique pas seulement par un manque de personnel.

Le gouvernent Charest doit donner une réponse rapide à ce document, ce qui implique un grand nettoyage du ministère des Transports et un changement majeur de ses pratiques. Mais il faudrait aussi que la lutte à la collusion et à la corruption passe à une autre vitesse, que le gouvernement se dote en quelque sorte d'une cellule de crise, pour agir vite, pour frapper fort, pour lutter contre l'inertie.