La Presse nous a appris mercredi que l'Union des municipalités du Québec avait confié à une firme de comptables, Raymond Chabot Grant Thornton, le mandat de dispenser les cours d'éthique que devront obligatoirement suivre les élus municipaux.

Cette nouvelle a fait tiquer plusieurs personnes. J'avoue que j'ai du mal à partager leur inquiétude et leur indignation. Je ne vois pas vraiment en quoi cela peut poser problème. Les comptables sont des professionnels, pas des entrepreneurs en construction mafieux.

Par contre, je peux comprendre la réaction de méfiance que suscite ce genre d'entente. Nous vivons dans un climat de désillusion généralisée, de méfiance envers les élus et les administrations publiques, particulièrement municipales. Toute activité marchande de l'État, tout contrat entre le secteur public et le secteur privé est a priori suspect.

Je crois cependant qu'on ne pose pas correctement les balises du débat sur l'éthique. Dans un contexte politique, nous exigeons en fait que les politiciens ne soient jamais en conflit d'intérêts ou même en situation d'apparence de conflit. À plus forte raison maintenant. C'est à la fois noble et impraticable.

Dans la vraie vie, les individus, les entreprises, les institutions sont sans cesse en situation où il y a des conflits d'intérêts, des conflits de loyauté, des affinités qui peuvent affecter les décisions. Personne n'y échappe, même les éthiciens, dont les réactions, dans ces pages, comportent un élément d'autopromotion!

Une société éthique n'est pas une société qui élimine ces conflits - ce serait naïf et impraticable - mais plutôt celle qui sait bien identifier ces conflits, connaît leur existence, est capable de les gérer et de les circonscrire pour éviter qu'ils mènent à des dérapages.

Je peux donner un exemple puisé dans mon expérience professionnelle. La principale source de revenus des médias est la publicité. Dans bien des cas, elle proviendra d'entreprises ou d'organismes publics dont les médias auront à traiter. Le conflit d'intérêts potentiel pour les médias est évident: la tentation de traiter avec complaisance ceux qu'ils sollicitent comme annonceurs. Il y a une solution pure: l'élimination de la publicité. Et la solution réaliste: établir des règles strictes d'étanchéité pour assurer l'indépendance de l'information. Le conflit ne disparaît pas. Mais il est géré.

Dans le cas des cours d'éthique, on s'inquiète du fait que la firme qui a décroché le mandat, RCGT, a déjà des contrats avec certaines municipalités. C'est inévitable. Toutes les boîtes de comptables ont des villes comme clientes, puisque celles-ci doivent faire vérifier leurs livres. C'est également vrai des avocats auxquels la Fédération québécoise des municipalités fait plutôt appel. Peut on exclure tous ceux qui ont eu, ont, ou pourront avoir des rapports contractuels avec des villes? Non, la voie réaliste, c'est un mécanisme d'appel d'offres transparent et équitable.

L'étonnement suscité par ce projet tient aussi à l'image simpliste qu'on se fait des comptables. On pense à ceux qui font nos déclarations d'impôt. On se demande pourquoi on confie un sujet aussi délicat que l'éthique municipale à des gens de chiffres plutôt qu'à des éthiciens.

Mais les cabinets de comptables se sont transformés au fil des ans, pour devenir des conseillers en gestion, qui s'occupent de vérification, de conseil stratégique, de ressources humaines, de respect des normes, de gouvernance d'entreprise. Ils ont en fait une expertise dans plusieurs volets de la problématique de l'éthique municipale. Ils disposent aussi de structures pour livrer de la formation à grande échelle, ce que des éthiciens de nos universités ou nos profs de philo de cégeps ne pourraient pas faire.

S'il devait y avoir débat, ce n'est pas sur le fait que ce projet de formation sur l'éthique ait été confié à des comptables, mais plutôt sur la qualité du programme qu'ils proposeront.