Il y a quelque chose de tout à fait étrange dans la façon dont se déroule le grand débat sur l'industrie de la construction au Québec.

Les scandales dans l'octroi de contrats, les cas de collusion, d'influence maléfique de firmes de génie, d'interférence électorale, de corruption, de proximité suspecte révélés par les médias se sont tous, sans exception, manifestés au niveau municipal.

Et le patron de l'Unité anticollusion, Jacques Duchesneau, dans son rapport, et dans les précisions qu'il a apportées lors de sa comparution en commission parlementaire, lundi, a confirmé cela à plusieurs reprises.

« On n'a pas eu d'informations, quand on a parlé à nos gens, qu'il y avait une intervention du politique dans l'octroi de contrats. Je vous dirai que ça ne semble pas faire partie de la culture au niveau provincial. Mais j'ai plus de réserves au niveau municipal. »

Il semble donc y avoir une déconnection. D'un côté, les manifestations de la corruption municipale s'étalent sous nos yeux. Mais de l'autre, le débat public ne porte que sur des dérives de l'administration provinciale pour lesquelles on n'a aucune preuve.

Je sais bien, qu'en écrivant cela, dans le cadre d'un débat partisan remarquablement linéaire, tout ce qui ressemble à une nuance sera interprété comme une tentative pour venir à la rescousse du gouvernement libéral. Ce n'est pas le cas. Le premier ministre Jean Charest est responsable de ce qui lui arrive, par son refus obstiné de tenir une commission d'enquête sur les dérapages de la construction et par la mollesse dont il a fait preuve dans ce dossier.

Il est également évident que même si M. Duchesneau ne dispose pas de preuves, les pratiques de financement des grands partis provinciaux, la proximité de ceux qui veulent décrocher des contrats publics méritent d'être scrutées. Mais on a le choix. Faire de la politique. Ou vouloir articuler des politiques, et se mettre en mode solutions.

Le scandale de la construction, c'est une foule de problèmes distincts, même s'ils sont interreliés. Il n'y aura pas de solution magique, encore moins de solution unique, mais plutôt une palette d'interventions. En toute logique, si on veut s'attaquer à ce cancer, il faut commencer par s'attaquer à ses manifestations que l'on a déjà identifiées et dont la gravité justifie une intervention rapide et énergique. Il serait logique de mettre, dès maintenant, le paquet sur le municipal. Pas pour mettre sous le tapis les abus provinciaux, mais pour commencer à bouger.

Ce n'est pas ce qui se passe, notamment parce que le débat a lieu à l'Assemblée nationale où la cible des partis d'opposition est le gouvernement libéral. C'est normal. Mais les élus ont aussi une responsabilité à l'égard du monde municipal, de sa probité, de la qualité de sa démocratie, menacée par la crise actuelle. Ce n'est pas pour rien que le président de la Fédération québécoise des municipalités, Bernard Généreux, a interpellé hier le premier ministre Charest pour réclamer une enquête publique.

Mais le principal responsable de l'inaction en ce qui a trait aux enjeux municipaux, c'est le gouvernement Charest. Cette semaine, en réaction à la comparution de Jacques Duchesneau, le ministre des Affaires municipales, Laurent Lessard, a certainement prononcé l'ânerie de la semaine: « S'il y a des faits avérés qui disent qu'il y a un stratagème, je veux le connaître, et après cela, on adoptera nos lois en conséquence. »

Comme si, depuis les deux ans qu'il détient ce portefeuille, les révélations horrifiantes sur ce qui se passe dans certaines villes n'auraient pas déjà exigé de sa part une intervention énergique. Son attitude, réactive, passive, en retard, reflète parfaitement l'approche du gouvernement dont il est membre.