Je vais commencer cette chronique par une question de nature philosophique. À quoi sert le système de santé? Pour qui doit-il travailler? Les fonctionnaires? Le réseau? Une conception de la société? Ou plutôt le bien-être des patients?

Cette question est au coeur d'un dossier très concret, celui de RocklandMD. On se souvient peut-être qu'il y a quatre ans, l'hôpital du Sacré-Coeur a signé une entente avec cette clinique privée pour y effectuer des chirurgies d'un jour.

Cette entente a suscité de vives réactions parce qu'un hôpital public s'associait à une entreprise privée. Pourtant, cette entente respectait intégralement des grands principes d'un régime public: des opérations réalisées par les chirurgiens de l'hôpital, gratuites pour les patients, avec les listes d'attente de l'hôpital. Il ne s'agissait que d'un contrat de sous-traitance pour la location de salles d'opération et du personnel de soutien.

Cela a néanmoins suscité un grand inconfort dans les milieux de la rectitude médicale, tant et si bien que le ministère de la Santé et la nouvelle direction de Sacré-Coeur ont l'intention de ne pas renouveler cette entente en mars prochain. Ça risque fort d'être une grosse erreur.

Cette association a permis aux chirurgiens de Sacré-Coeur de réaliser environ 1500 opérations de plus par année, de réduire des attentes anormales pour certaines chirurgies, comme le cancer du sein, de réduire le nombre de reports d'interventions, et désengorger le volume à l'hôpital et donc d'y réduire les attentes. Elle a aussi permis à 7500 personnes de subir leur chirurgie ambulatoire dans un milieu plus convivial qu'un gros centre hospitalier. Si on met fin à l'entente entre Sacré-Coeur et RocklandMD, qui seront les victimes? Les patients, comme d'habitude.

Mais pourquoi? Parce que ça coûte plus cher qu'à l'hôpital, selon les autorités. Je suis évidemment sensible à ces considérations de coûts. Mais on en sait trop peu pour faire une comparaison précise. On sait précisément ce que coûtent les interventions à RocklandMD, puisque c'est un tarif à l'heure. Dans le cas de l'hôpital, les connaissances sont beaucoup moins fines, tant et si bien qu'on est incapable de comparer les coûts par type précis de chirurgie.

Il y a deux autres limites aux comparaisons. Si Sacré-Coeur a fait appel à des ressources extérieures, c'est que leurs installations sont engorgées. Quel serait le coût des chirurgies que l'hôpital n'est pas capable de faire? Une augmentation du volume exigerait des ressources humaines, matérielles et organisationnelles additionnelles qu'il faudrait chiffrer. Enfin, il faut tenir compte du coût humain et social énorme des attentes et des reports qu'on impose aux patients, ce qu'on ne met jamais dans la balance.

Cette entente, encouragé par l'ex-ministre de la Santé Philippe Couillard, avait un caractère expérimental. On testait prudemment des ententes avec le secteur privé, on explorait d'autres avenues de pratique, on favorisait l'innovation. C'est de cet apprentissage dont on se prive. Et si le ministère de la Santé trouve qu'il paie trop cher, il peut renégocier les prix.

Mais il y a autre chose que les coûts. Et c'est l'horreur du privé. Un braquage idéologique d'un réseau frileux, où règnent le corporatisme, les résistances syndicales et l'hostilité d'un ministère envers ce qui sort du périmètre gouvernemental. Et ça semble aller jusqu'au niveau du ministre Yves Bolduc qui ne soutient pas cette initiative de son prédécesseur.

M. Bolduc, porté vers le micromanagement, performant quand il s'agit d'interventions ciblées - amélioration de la gestion, restructuration d'urgences, établissement de groupes de médecine familiale - devient très timoré quand il s'agit de réformes. Or, si on ne transforme pas ce réseau, on va se casser la gueule. Dans ce contexte, la résistance au changement devient une forme d'obscurantisme.