Chaque année, on sent maintenant un certain malaise à l'arrivée des Fêtes, quand des entreprises ou des institutions publiques se demandent si l'on peut dire Joyeux Noël ou si l'on peut décorer un sapin, de peur de heurter les sensibilités de ceux qui ne sont pas chrétiens.

Faut-il interdire les arbres de Noël? Apprendre à dire «Joyeuses festivités saisonnières» pour éviter les connotations religieuses, ou même comme je l'ai déjà entendu, «Joyeux long congé»? Permettre la décoration des salles de classe avec des flocons de neige mais pas avec des images du Père Noël? Ces craintes mènent à des décisions bureaucratiques comme celle de Service Canada qui a banni, au Québec, tout signe lié aux Fêtes dans les espaces publics, une initiative heureusement morte dans l'oeuf.

On ne devrait pas être gênés de fêter Noël. C'est un choix collectif qui relève du gros bon sens, et qui se défend bien, tant aux niveaux éthique que juridique, si l'on dissipe les confusions qui obscurcissent ce genre de débat.

La première confusion vient du fait que, curieusement, dans le cas de Noël, on a inversé la proposition et oublié la logique qui préside d'habitude aux accommodements religieux. Dans la quasi-totalité des cas, il s'agit non pas d'interdire, mais de permettre des pratiques s'il est possible de les aménager. Dans le cas de Noël, on voudrait interdire aux chrétiens de s'exprimer. Le principe de tolérance qui est au coeur de la philosophie des accommodements devrait jouer dans les deux sens et, dans ce cas-ci, accommoder les chrétiens, d'autant plus, faut-il le rappeler, qu'ils sont largement majoritaires.

La seconde confusion, omniprésente dans tous nos débats sur la laïcité et sur les accommodements, tient à la difficulté de définir la frontière entre l'espace culturel et l'espace religieux.

Noël est, par définition, une fête chrétienne, puisqu'elle célèbre la naissance de Jésus, quoique les rituels qui lui sont associés sont souvent inspirés de traditions païennes. Mais cette fête a progressivement perdu son caractère sacré pour devenir un congé, un hymne à la consommation, un joyeux prétexte de réunion des familles. Cette fête traditionnelle peut maintenant être définie comme une pratique culturelle. C'est pour cela que les athées fêtent Noël, comme un grand nombre de juifs, et que la très grande majorité des immigrants issus d'autres traditions religieuses ne s'en offusquent pas.

En fait, dans le cas de Noël, la réflexion sur la frontière entre le religieux et le culturel se pose très exactement de façon inverse à ce que l'on retrouve dans la plupart des dossiers d'accommodements raisonnables. Pour Noël, on voudra démontrer que cette fête d'origine religieuse est devenue une simple expression culturelle.

Dans la plupart des autres dossiers chauds, que ce soit le port du niqab, le kirpan, les rapports entre les sexes ou, tout récemment, l'interdiction de la musique pour un enfant de garderie, ceux qui réclament des accommodements veulent démontrer que leurs demandes visent à respecter des préceptes religieux plutôt que des pratiques culturelles ou des symboles identitaires.

Si Noël s'est largement vidé de son contenu religieux, il est évident que cette célébration a des racines chrétiennes. Cela agace les défenseurs de la laïcité qui voudraient bannir tous les signes religieux dans les espaces publics. Et cela envoie le message que toutes les religions n'ont pas le même poids. C'est vrai.

Mais ce déséquilibre reflète une réalité historique et sociologique, le fait qu'une société comme la nôtre a été façonnée par son passé religieux judéo-chrétien, et qu'en choisissant le Canada, les nouveaux venus doivent apprendre à composer avec cette culture dominante. Joyeux Noël et Bonne et heureuse année!