Tout le monde connaît le supplice chinois. Selon la légende, on laissait tomber à intervalles réguliers une goutte d'eau sur le front d'un prisonnier jusqu'à ce que cela le rende fou.

Pauline Marois et ses alliés sont en train de relancer, tout à fait involontairement, une version bien de chez nous du même tourment, que l'on pourrait appeler le supplice québécois. Il consiste à répéter à satiété le même mot. Souveraineté, souveraineté, souveraineté...

Pour ces tortionnaires malgré eux, il faut parler d'indépendance, insister, en faire un objectif premier, pour convaincre les Québécois - par osmose ou par percolation - de renouer avec l'option. L'effet de répétition donnerait le «goût du pays».

On sait que cette stratégie a exactement l'effet contraire. Les Québécois sont à un stade de leur histoire où ils ont d'autres préoccupations. Ce projet n'est plus une priorité pour une grande majorité d'entre eux. Quand on leur parle d'indépendance, ils ont plutôt tendance à se boucher les oreilles. Le sondage CROP que publiait hier La Presse est dévastateur. 63% des répondants, presque les deux tiers, voteraient non à l'indépendance.

Et que fait Pauline Marois? Le premier geste qu'elle a posé, après être sortie victorieuse d'une fronde qui menaçait son leadership, c'est de créer un «comité stratégique» sur la souveraineté avec le nouveau chef du Bloc québécois pour remettre la souveraineté sur la table.

Mme Marois, comme ses prédécesseurs, est prisonnière d'une dialectique destructrice entre la logique de l'interne et celle de l'externe. Pour consolider son emprise sur ses troupes rebelles, elle doit parler de souveraineté avec passion. Cela fait fuir le Québécois moyen. Ce qui provoque une autre descente dans les sondages. Et donc une autre crise interne au PQ. Qui forcera son chef à insister encore plus sur la souveraineté. Et c'est ainsi qu'un grand parti se transforme graduellement en secte.

Ce qui est fascinant dans tout cela, c'est la remarquable aptitude des leaders du PQ à manier le non-dit. On ne s'est toujours pas penché sérieusement sur la question de fond: quelles sont les causes profondes de la faiblesse de l'appui à l'option. Les seuls qui osent le faire sont condamnés à quitter le parti. Cela mène à une logique de fuite en avant dont on a eu deux exemples récents.

D'abord, le député Bernard Drainville, tribun verbeux qui, étonnamment, est perçu comme un possible successeur à Mme Marois. Craignant la disparition du PQ, il n'a trouvé rien de mieux que de proposer une alliance avec Québec solidaire. Une stratégie de regroupement des troupes souverainistes qui n'a de sens que si on veut faire de la souveraineté une priorité. Mais cette association avec un parti d'extrême gauche serait certainement la meilleure façon d'éloigner le PQ des préoccupations d'une bonne majorité de Québécois.

Ensuite, à l'autre extrémité du spectre générationnel, un autre tribun, verbeux lui aussi, mais sur un mode plus vieillot, l'ex-premier ministre Bernard Landry, manifeste la même cécité et la même surdité devant l'éléphant qui barrit dans la pièce.

Dans une lettre ouverte publiée hier, assassine pour Pauline Marois, il explique l'échec du PQ et de son option par la stratégie proposée par la chef péquiste, la gouvernance souverainiste, qui repousse à plus tard l'échéance référendaire en comblant le vide par des rapatriements de pouvoir. Sa solution? «Cap sur l'indépendance», proclame-t-il. Au lieu d'une approche «soft» à la souveraineté, il propose une stratégie «hard», qui consiste en substance à tenir un référendum le plus rapidement possible après une hypothétique victoire du PQ.

M. Landry, qui enjoint aux troupes de «penser à la patrie avant tout», leur dit qu'il faut foncer. Mais où? Probablement dans un mur.