Le Québec économique, dans un des chapitres de son édition 2011 publiée jeudi dernier par le CIRANO, révèle que le Québec se retrouve dans le top 3 du classement des 38 pays comparés, en appliquant à la province la méthode mise au point par l'OCDE pour mesurer le bien-être de ses pays membres.

Quelques jours plus tôt, une étude du Centre sur la productivité et la prospérité des HEC, de l'économiste Martin Coiteux, démontrait que les écarts de revenus entre le Québec et les provinces riches du Canada ont tendance à s'accroître et que les provinces pauvres nous rattrapent.

Comment on peut à la fois être un cancre et en tête de peloton? Qui a raison? La réponse: les deux. Les deux approches ne sont pas contradictoires, mais constituent plutôt deux facettes d'une réalité complexe, des éléments de nature différente dont il faut tenir compte lorsqu'on essaie de faire un bon diagnostic de l'économie et de la société québécoises.

Les mesures globales de richesse, basées sur le PIB, ou encore sur les revenus du marché, nous donnent une idée de la grosseur de la tarte. Mais une société riche n'est pas nécessairement une société heureuse. Le bien-être dépend d'une foule de choses, de la façon dont on partage cette tarte et de ce qu'on y met. Pour cette raison, l'OCDE a mis au point une approche plus fine pour mesurer le bien-être, intitulée Vivre mieux, dont j'ai déjà parlé lorsque l'organisme a publié ses premiers résultats.

Dans l'étude du CIRANO, les économistes Luc Godbout et Marcelin Joanis ont eu l'excellente idée d'appliquer la méthode au Québec, et de classer le Québec pour la vingtaine d'indicateurs - logement, revenu, emploi, démocratie, santé, éducation, etc. Le Québec dépasse parfois le Canada, parfois non. Mais en fin de compte, il arrive en tête, avec le Canada et l'Australie.

Le Québec est donc une société relativement pauvre - au 20e rang de l'OCDE, sous la moyenne - mais à la qualité de vie élevée. Ses retards en terme de richesse brute sont compensés, grâce, entre autres, à sa répartition des revenus, ses politiques publiques, sa cohésion sociale. En quelque sorte, le Québec réussit à faire plus avec moins.

L'erreur que l'on fait souvent dans ce débat, c'est d'opposer ces deux réalités, richesse et bien-être, comme si c'étaient deux concepts antinomiques et qu'il fallait faire un choix entre les deux. En général, les pays à haute qualité de vie sont riches, le Québec étant en quelque sorte une anomalie. Parce que la plupart des éléments qui contribuent à la qualité de vie exigent des ressources. Parce que la recherche de la prospérité menace automatiquement l'équilibre social, comme on le voit en Europe du Nord.

La deuxième erreur consiste à conclure que ces succès du Québec montrent qu'il y a ici un modèle unique, et qu'il faut le préserver. Ce n'est pas vraiment exact, pour deux raisons. Ce n'est pas un hasard si le Canada se classe aussi en tête. Nos succès proviennent de la spécificité québécoise, mais aussi du contexte canadien. L'Ontario, la Colombie-Britannique ou l'Alberta se classeraient elles aussi en tête de peloton. Et si le Québec, plus pauvre, réussit à assurer une belle qualité de vie, c'est aussi parce qu'il peut compter sur les ressources canadiennes.

Ensuite, notre performance en termes de bien-être repose en partie du vieux gagné. Le Québec, dont la croissance est entravée par une faible productivité, dont l'État a moins de marge de manoeuvre que dans les autres provinces, dont la démographie est déclinante, sera incapable de maintenir sa qualité de vie s'il ne se prend pas en main.