J'ai appris cette semaine, par la bouche du cardinal Ouellet, qu'il y aurait chez nous une «culture de mort». Mazette, voilà qui est terrifiant de la part d'un homme d'église, où partout sont affichés des Jésus agonisants sur des croix. Il doit s'y connaître. Mais cela, n'est-ce pas, est pour nous rappeler qu'Il a triomphé de la mort, non? La peur de la mort, c'est la grande affaire de la religion, qui, bizarrement aussi, s'intéresse de façon assez obsessionnelle à la sexualité, même si Jésus n'aurait pas vécu la chose, ni eu d'enfant, et que les curés doivent en faire autant. D'ailleurs, on ne sait pas trop ce que Jésus aurait fait de son corps une fois ressuscité. La peur, en général, c'est l'affaire de la religion. Car sans la peur, à quoi peut-elle bien servir? J'aime lire la Bible parce qu'elle est limpide là-dessus, elle met dès le début le doigt sur le bobo: ça commence par l'histoire d'un homme et d'une femme qui s'éveillent au monde en mangeant le fruit défendu de la connaissance... À partir de là, tout fout le camp, et ça se termine par l'Apocalypse.

En ce qui concerne cette culture-de-mort qui ferait des ravages, j'ai plutôt l'impression que c'est la culture de la-vie-à-tout-prix qui nous rend tous aussi morbides. J'ai souvent en tête cette phrase de Cioran: «Quelqu'un emploie-t-il à tout propos le mot «vie»? - Sachez que c'est un malade.» Je crains sans cesse de tomber, quand je serai vieille, sur un de ces malades qui, par «amour sacré» de la vie, fera tout pour prolonger ma souffrance, en utilisant mon corps comme champ de bataille contre la Mort, qui de toute façon gagnera. Je ne compte pas dans leur croisade, et ce sont eux qui me donnent envie d'écrire tout de suite mon testament biologique, et de planquer quelque part une pilule de cyanure au cas où je ne pourrais leur échapper.

Cette culture de la-vie-à-tout-prix en dénie le sens, puisqu'elle est tournée vers un hypothétique ailleurs dont nul ne connaît l'existence. Ses adeptes s'intéressent tant à ce qui se passe avant, et ce qui se passe après, rarement à ce qui se passe pendant. Nous sommes là à gloser sur l'âme et la citoyenneté des embryons, et sur le paradis à la fin de nos jours, sans jamais vraiment s'interroger sur l'existence pendant qu'on y est. Sollers écrit: «Les dévots? Molière a tout dit: «Ils veulent que chacun soit aveugle comme eux. C'est être libertin que d'avoir de bons yeux.»»

Les dévots n'aiment pas les gens trop curieux, encore moins les gens cultivés. Ils sont plus adeptes de la monoculture - la leur. La complexité, la diversité, le doute, c'est pas leur truc. Un peu comme la firme Monsanto, finalement: ma semence et pas d'autres dans ton jardin.

Je vous quitte pour l'été justement pour aller cultiver mon jardin - extérieur et intérieur. C'est tellement beau, un plant de tomates côtoyant un plant de basilic. La perfection. Il ne m'en faut pas plus pour croire au divin, je vous jure. Parce que oui, je m'intéresse au divin - expérience maintes fois vécue, trop importante pour être laissée entre les mains des dévots. En regardant pousser mes plants, je terminerai Mai au bal des prédateurs de Marie-Claire Blais, formidable de complexité dans le monde marginal des travestis, autre jalon dans l'oeuvre magistrale d'un écrivain qui aime tout ce qui sort du cadre étroit de la normalité. Je terminerai aussi le Discours parfait de Sollers, qui croit que la seule obscénité impardonnable à notre époque est la pensée. Pour le reste, je laisserai venir à moi les petits et grands romans qui auront la chance de me croiser.

Un bon été à vous, dans un jardin, dans un livre... Cultivez vos divins moments!