En sortant du spectacle de Kim Noble à La Chapelle, je me suis demandé: «Jusqu'où suis-je prête à aller comme spectatrice pour être déstabilisée?» Après tout, je venais de voir sur scène un gars dépressif, qui distribuait des échantillons de son sperme, nous faisait entendre ses appels larmoyants à son ex et se montrait à l'écran en train de manger de la nourriture pour chien ou de s'insérer une caméra dans l'anus.

En comparaison, les spectacles XXX ou G.H.B. du Studio Juste pour rire, qui font dans l'humour grivois ou déplacé, sont de la petite bière. Parce que le but de ces deux spectacles pour «public averti» est de faire rire, en passant par la provocation. Celui de Kim Noble, plus près de la performance théâtrale, ne veut pas nous soulager de quoi que ce soit. Même qu'il nous fout à la porte de son show sans qu'on puisse l'applaudir.

Pourtant, j'ai beaucoup aimé Kim Noble. Cela m'a pris trois jours pour m'en remettre, mais j'ai aimé, au bout du compte. Justement parce que j'y ai pensé pendant trois jours.

Je l'avoue, j'aime le mauvais goût et l'humour tordu qui cause des malaises. Parce qu'un public ahuri, c'est aussi drôle qu'une blague - Andy Kauffman en faisait sa spécialité.

C'est un goût que j'ai acquis sûrement par déformation professionnelle. Lorsqu'on couvre le monde de l'humour depuis des années, on devient immunisé à l'humour «ordinaire», consensuel. Il nous en faut toujours plus. En fait, couvrir uniquement des shows d'humour pendant un mois de festival, je vous jure, cela peut nuire à la santé mentale. J'arrive au mois d'août dans une fièvre tragique. J'ai envie de lire du Thomas Bernhard, de me retaper pour la vingtième fois La maman et la putain de Jean Eustache, de sombrer dans la mélancolie en écoutant du Chopin, ou d'écrire un pamphlet sur la dictature de l'humour au Québec.

Pourtant, j'adore rire, et adhère à l'adage de Chamfort: une journée sans rire est une journée perdue. Et je souscris à la devise de mon mentor, John Waters: «Pour vraiment comprendre le mauvais goût, il faut avoir beaucoup de goût.»

On déplore souvent la vulgarité des humoristes, mais selon moi, la vulgarité et l'humour forment un couple depuis toujours. Couple qui engendre ce rire qui prend aux tripes, pas le rire poli, le sourire gentil. Le rire qui fait mal. Qu'y puis-je si je me roule par terre en voyant une grand-mère tomber dans le gâteau de mariage à Drôles de vidéo? Je ne maîtrise pas vraiment mon humour, comme je ne maîtrise pas de qui je tombe amoureuse. C'est viscéral.

Les gens qui détestent l'humour admirent le Sol de Marc Favreau, mètre étalon du bon goût comique selon eux. Évidemment que c'était de la grande qualité, Sol. J'admirais sa poésie. Mais est-ce qu'il m'a déjà fait rire aux larmes? Jamais. C'était trop joli. La beauté ne fait pas rire, sauf lorsqu'elle tombe de son piédestal, comme lorsqu'une top-modèle trébuche en talons hauts.

Ce que je trouve vulgaire en humour, c'est la paresse. Lorsqu'on sent chez un humoriste qu'il balance ses blagues comme il lancerait de la moulée à des poules. Ils sont de plus en plus rares les stand-up comiques capables d'écrire un numéro solide sur un thème, préférant sauter de gags en gags, sans fil conducteur. Ou lorsqu'un humoriste sollicite l'instinct grégaire d'un public pour le conforter dans ses préjugés, plutôt que de le provoquer dans ses certitudes. Lorsqu'il tente de «nous rejoindre» en parlant uniquement de ses mousses de nombril, comme si c'était passionnant et universel. Lorsqu'il attaque encore Denise Bombardier ou Daniel Pinard, les seuls qui ont osé critiquer publiquement les humoristes un jour, parce qu'il est trop peureux pour attaquer le vrai pouvoir. Lorsqu'on sent la formule, mais aucune âme.

Bref, lorsqu'on sent qu'il s'est trouvé un job, plutôt qu'une vocation. Et un festival, plutôt qu'un public.

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