Neuf ans après les attentats du 11 septembre, ça sent encore le brûlé. Un pasteur américain a failli faire de cette date sensible un BBQ d'exemplaires du Coran.

Ce qu'il y a de curieux avec les croyants les plus fervents, adeptes d'un seul livre sacré (et ça peut être le Petit Livre rouge de Mao ou Mein Kampf) est leur penchant pour l'autodafé.

Ces gens-là ne fréquentent sûrement pas les bibliothèques. Ils n'aiment pas la multitude de points de vue, ça fait désordre. La vérité est dans un seul livre ou dans aucun, point à la ligne. Les fervents des livres, eux, un peu échevelés et perdus, répugnent à voir ne serait-ce qu'un seul bouquin être la proie des flammes, peu importe son contenu.

Neuf ans après les attentats du 11 septembre, je demeure fascinée par la reconstruction constante de cet événement qualifié d'historique dès les premières secondes à la télé. Cette répétition minute par minute, respectueuse et pleine de gravité au début, qui devient la norme. On veut s'en tenir au plus près de la vérité, mais la fiction est déjà à l'oeuvre, car nous sommes des êtres de fiction. Se répéter inlassablement les détails de cette journée est certainement une façon de transformer le traumatisme en une histoire, circonscrite à un début, un milieu et une fin. Comme des enfants qui ne veulent pas qu'on change une ligne à leur conte préféré.

Cette sorte de mythe fondateur devient la matrice des écrivains qui voudront porter l'imaginaire plus loin. Les Beigbeder, Jonathan Safran Foer ou Don DeLillo, par exemple, qui se sont inspirés de l'événement pour leurs romans.

Le 11 septembre 2001, je l'ai passé à boire du café, tétanisée devant ma télé, à regarder en boucle ces images qui sont devenues des symboles dans nos têtes. Le 12 janvier 2010, j'étais dans la rue, parmi les sinistrés d'Haïti, sans télé et sans internet pour saisir l'onde de choc mondiale de cette catastrophe. Il n'y a pas d'images-chocs qui tournent en boucle pour ceux qui sont touchés, mais le choc, point.

Depuis, je lis tous les livres qui paraissent sur le 12 janvier, guettant les premiers signes de «l'après», tout en surveillant les détails de ce que j'ai vécu de près, seconde par seconde. Cela ressemble à un kaléidoscope. Une multitude de points de vue sur un événement particulier qui a duré 35 secondes, à 16h53, le 12 janvier. Je découvre les secondes des autres. Presque neuf mois après le séisme, nous sommes encore trop près du choc, et pour l'instant, ce qui s'écrit est plus proche du témoignage que de la fiction, mais tout ce qui s'écrit contribue à ancrer (et encrer!) ce moment dans ce qui deviendra un mythe pour la prochaine génération. Il y a eu Tout bouge autour de moi de Dany Laferrière. Il y a désormais Lionel-Édouard Martin qui décrit ces jours dans Le tremblement (chez Arléa); Nicolas Mazellier et Marc Perreault, deux survivants des ruines de l'hôtel Montana, qui racontent leur calvaire personnel dans Pourquoi? (chez Anne Sigier) et Sous les décombre de l'hôtel Montana (Les Intouchables). Et le collectif Haïti parmi les vivants (Actes Sud) qui se demande: «Que peut la littérature devant l'ampleur du drame? Rien, mais surtout pas se taire.»

Rien, vraiment? Je n'en suis pas si sûre. Parce que nous ne sommes pas encore dans la littérature, justement, mais dans les premiers balbutiements émis après le tremblement. Les premiers mots. Lorsque les préoccupations redeviendront d'ordre esthétique, nous seront alors dans la littérature et nous saurons alors que nous sommes peut-être un peu guéris...

Parce que tout le reste est littérature, écrivait Verlaine, n'est-ce pas?