C'est quand même étrange de recevoir, en plein débat sur la «madamisation des médias», le nouveau livre de Pierre Jourde, C'est la culture qu'on assassine, où l'on voit en couverture la toile d'Artémisia Gentileschi, Judith décapitant Holopherne.

Pour votre info, Judith est une héroïne juive qui a sauvé sa ville en usant de ses charmes, Holopherne s'est fait prendre, mais ce que l'Histoire a retenu, c'est surtout le danger du féminin pour l'homme qui y est trop sensible, un thème obsédant pour bien des artistes qui ont représenté cette mise à mort ô combien symbolique. Cette toile ornée du titre de Jourde m'a fait voir en Judith la représentation de la madame qui serait en train de nous décerveler, selon le débat qui a fait rage sur Twitter à la suite d'une chronique de Stéphane Baillargeon dans Le Devoir.

Est-ce notre caractère distinct qui transforme en guerre des sexes un débat sur le nivellement vers le bas des médias? Pourtant, l'inquiétude intellectuelle dépasse nos frontières, particulièrement chez nos cousins français, qui publient à un rythme affolant quantité d'essais sur la mort de la culture, de la pensée, de l'histoire, de la littérature - je suis en train de me construire une belle bibliothèque sur «l'imaginaire de la fin» et quand elle arrivera pour vrai, je pourrai dire: c'était écrit...

Pierre Jourde, assez intense dans sa charge, affirme qu'on est en guerre contre un capitalisme mille fois plus efficace que la propagande stalinienne. «C'est pour cela que nous avons conquis la liberté d'expression, pour cela que la gauche a «libéré les médias»: pour offrir du temps de cerveau humain à Coca-Cola, comme dit Patrick Le Lay.» Quant au service public, télé et radio, il écrit: «Il serait grand temps que les hommes politiques en prennent conscience. Les médias ont créé une nouvelle activité, aux ressources illimitées: l'industrialisation de la connerie. Ils ont su donner des dimensions monstrueuses à l'universel désir de stupidité qui sommeille même au fond de l'intellectuel le plus élitiste.»

Comme femme, j'ai dû lire constamment des philosophes qui étaient contre mon sexe, cela m'a bien préparé pour lire ceux qui sont contre mon métier de journaliste...

Comment un débat sur le nivellement par le bas des médias a-t-il pu être détourné vers une guerre des sexes? C'est peut-être le bas-ventre qui parle, justement. La féminisation du corps social a toujours été vue comme un affaiblissement; la peur de la castration n'est jamais loin. Comme par hasard, le sempiternel débat sur l'échec scolaire des garçons causé par la surreprésentation des femmes à l'école refait encore surface. La question la plus tragique à se poser serait de se demander si on n'accorde pas plus de place aux femmes dans les médias à mesure qu'on écrase la culture et la pensée. De la chair à canon en ces temps de massacres budgétaires et de rapetissement des idées, et que l'on finira par tenir responsable de l'émasculation générale.

Il y a de l'impuissance dans une attaque contre la madame, pour qui l'on décide de ses intérêts et non le contraire. Ce n'est pas elle qui dicte les programmations, mais ceux qui ont une idée bien réductrice de ce qu'elle est. Elle n'aura jamais le pouvoir, mais elle a tous les attributs pour être le bouc émissaire. Si on a vraiment des couilles, il faut attaquer ceux qui se cachent sous sa jupe...